Écriture

Secrets d’écrivain : Cameron Valciano

02/11/2020

J’inaugure une toute nouvelle rubrique sur le blog : Secrets d’écrivain. Le concept ? De temps en temps, je proposerai une interview à un auteur dont j’apprécie les livres. Le but est d’entrer dans l’intimité de son univers romanesque, tout en découvrant sa vision personnelle de l’écriture ainsi que ses conseils avisés 🙂

Ma première invitée est Cameron Valciano, auteure du très chouette roman Tant que vole la poussière, publié en 2020 chez Magic Mirror éditions. Ce livre revisite le classique Peter Pan de J.M. Barrie, dans une version sombre et enchanteresse. On y découvre la quête de Wendy, devenue adulte, à la recherche de sa fille disparue. La jeune femme devra s’allier au Capitaine Crochet pour retrouver la trace du Pays Imaginaire …

J’ai beaucoup aimé le antihéros charismatique campé par James Hook (le fameux Capitaine Crochet) et l’univers foisonnant dans lequel se déroule l’histoire, entre autres … Cameron Valciano a gentiment accepté de répondre à mes questions sur la genèse de son roman et sur son processus d’écriture !

Tout d’abord, merci beaucoup à toi de participer à cette interview ! J’ai beaucoup aimé ton roman et je suis curieuse d’en savoir plus sur ton processus de création.

Tout le plaisir est pour moi. J’espère que les réponses seront aussi intéressantes que les questions 😉

Peux-tu te présenter et nous dire quelques mots sur la genèse de ton roman ?

Ma vie tourne autour des histoires.

Ah l’art délicat de la présentation… Essayons la simplicité : je suis Cameron Valciano, l’auteure de Tant que vole la poussière et pour résumer sommairement, disons que ma vie tourne autour des histoires, leur lecture et leur rédaction. Le jour, mon travail consiste à découvrir des ouvrages et les conseiller ; le soir, parfois jusque tard dans la nuit, mon temps libre est voué à l’écriture de mes propres récits.

Avant l’aventure de Tant que vole la poussière, j’ai été étudiante en école de cinéma spécialité hollywoodienne, j’ai travaillé dans des associations culturelles et j’ai œuvré comme correspondante de presse pour, finalement, me consacrer aux métiers du livre.

Trois ans après cette dernière étape de ma vie professionnelle et des problèmes intimes plutôt retors, j’ai commencé à me sentir à l’étroit dans mon quotidien. J’avais besoin d’imaginaire, de création, d’escapade loin de la routine. D’un peu de féerie. L’idée de revenir à la fiction commençait doucement à se manifester – d’abord comme une envie lointaine, puis comme un besoin frénétique.

Restait à déterminer quoi et surtout avec qui. A ce moment-là, je suivais déjà de près les parutions des Editions Magic Mirror, pour lesquelles j’ai toujours eu beaucoup d’affection.

Je savais donc que la collection Bad Wolf, consacrée aux antagonistes de contes, était au point mort. J’ai contacté Sandy, la créatrice, avec un aplomb que je ne pensais pas avoir : je lui ai écrit que j’avais une ébauche de roman sur James Hook, l’impitoyable adversaire de Peter Pan dans l’œuvre éponyme de Barrie. A ce stade, autant l’avouer : c’était de la pure extrapolation ! Je n’avais pas de manuscrit, pas d’intrigue claire, pas de projet établi, juste un vague concept survenu presque par hasard. Sa gentillesse et sa générosité habituelles ont été ma poussière de fée, elles m’ont permis de faire s’envoler une idée…

Cameron Valciano

Tant que Vole la Poussière revisite l’histoire de Peter Pan, dans une version sombre et plus adulte. Pourquoi as-tu choisi d’explorer le conte de J.M. Barrie ? Qu’est-ce qui, dans cette histoire, t’a donné envie de développer ton propre univers ?

J’ai toujours eu une préférence marquée pour les antagonistes, les personnages troubles, les êtres névrosés, les personnalités torturées, ceux qui brillaient non par leur héroïsme mais leurs failles, voire leur monstruosité… Par le prisme de la culture, je trouve fascinant de suivre leur évolution. Lorsque la réécriture s’est imposée comme une certitude, j’ai tout naturellement cherché parmi les méchants phares des contes de fées. Il y en a tant ! L’ogre affronté par le Petit Poucet, le père incestueux de Peau d’Ane, la Reine de Cœur et ses pulsions sanguinaires, la sorcière des mers qui passe un pacte odieux avec la Petite Sirène ou encore l’inégalable Barbe-Bleue – que j’adore haïr.

Toutefois, un personnage se détachait du lot. Un homme qui m’envoûtait depuis ma toute première lecture : James Hook, l’antagoniste et l’alter-ego de Peter Pan, son adversaire et son équilibre…

Et l’évidence était là : l’œuvre de Barrie est si riche, si dense, si sombre et si féerique… J’ai toujours adoré ce conte moderne et ses multiples facettes, souvent inventé des histoires autour du tandem principal. La pièce et le roman originaux sont étonnamment modernes et avant-gardistes, très complexes. Pour un œil adulte, ils fourmillent de détails insolites.

Illustration Chuck Jones

Longtemps, j’ai eu peur de finir comme Hook, d’être rongée par l’amertume …

Ce que j’apprécie, plus que tout, c’est d’avoir eu la chance d’appréhender cette histoire à des étapes majeures de ma vie – c’est la force des chefs-d’œuvre, pouvoir être redécouverts, encore et encore, au fil des ans et gagner en justesse, en éclat, en attrait. Comme beaucoup, lorsque j’étais enfant, je m’identifiais à Pan, je rêvais d’aventures trépidantes en sa compagnie, de caresser les nuages, de gagner cette étoile au loin et j’espérais ne jamais devenir adulte.

Adolescente, j’ai été frappée par le personnage de Wendy et ce qu’elle incarne : l’acceptation des responsabilités et le choix de la maturité, bien sûr, mais aussi le courage, le désintéressement, la curiosité, l’imagination.

Pour autant, à la fin de mes années lycée, alors que j’étais moi-même jeune adulte, j’ai continué de ressentir une véritable fascination pour Hook, à éprouver un amour inaltéré vis-à-vis de ce personnage. Parce qu’il me parlait, infiniment plus qu’un enfant tyrannique et une adolescente un peu trop docile : c’est avant tout un homme insatisfait, à la tristesse incommensurable, subtil et torturé, pétri de chagrin et de morgue. Longtemps, j’ai eu peur de finir comme Hook, d’être rongée par l’amertume, le ressenti, incapable d’être autre chose qu’une femme indifférente et envieuse qui aurait laissé s’écouler son temps sans en tirer parti…

Le capitaine représente le risque de finir seul et aigri, l’adulte désenchanté au sens le plus néfaste du terme – m’approprier une telle figure m’a permis de vaincre ces démons, de contrer ma vision profondément pessimiste et négative du monde, autant par Hook que par Wendy d’ailleurs.

Le Capitaine Crochet par Ricardilus

Plus largement, qu’est-ce qui fait une bonne réécriture de conte, selon toi ?

Partir d’une histoire culte que tout le monde connaît et que beaucoup ont déjà remaniée par le passé revient à y insuffler sa propre vision.

La réponse est aussi large que l’interrogation !

Alex Flinn a transposé l’univers de La Belle et la Bête dans un lycée huppé avec Sortilège ; Amélie Nothomb place son Barbe Bleue dans une société bourgeoise contemporaine ; Kaori Yuki explore différents contes via son manga Ludwig Revolution, le tout par un personnage principal marquant, cynique et amoral ; Laetitia Arnould inverse les genres en glissant sa mauvaise fée sous les traits d’un magicien torturé dans Le Bois-sans-Songe, une variation inspirée de La Belle au Bois Dormant ; le film Ever After propose une variation féministe de Cendrillon ; le Alice d’American McGee présente un jeu qui mêle épouvante visuelle et terreur psychologique ; Loisel relate les origines de Peter Pan dans un univers violent, nébuleux et unique…

Toutes ces réécritures, bien qu’inconciliables à première vue, fonctionnent !

Pour moi, le pire reste l’entre-deux, l’absence de parti-pris : à mon sens, il faut respecter une œuvre et transposer ses éléments majeurs ou la remanier en totalité et être subtil dans ses références voire les deux à la fois… Mais ne jamais se contenter d’un résultat tiède, impersonnel. Partir d’une histoire culte que tout le monde connaît et que beaucoup ont déjà remaniée par le passé revient à y insuffler sa propre vision. Je pense que quiconque se lance dans la réécriture, fatalement, a des choses à dire du matériel original. Alors autant les exprimer et aller au bout de ses choix.

L’un des personnages principaux de ton histoire est le capitaine Crochet. Dans ton roman, c’est un antihéros charismatique, avec une vraie part d’ombre et un passé fascinant. D’où vient ton envie de mettre ce méchant sur le devant de la scène ?

Pour toutes les raisons évoquées précédemment. Et puis, avec tout le respect que je dois à Barrie, malgré mon amour immuable pour Peter Pan, j’ai toujours trouvé la fin du Capitaine prématurée ET imméritée ! Enfant, ado ou adulte, à chaque lecture, je ne pouvais m’empêcher de me demander : « Qui était-il en réalité ? Qui était-il avant d’être Capitaine du Jolly Roger et l’adversaire de Pan ? Qu’aurait-il fait s’il avait survécu à son combat final ? » Voilà le postulat de Tant que vole la poussière… Je crois que j’avais envie de coucher sur papier ces questions qui m’avaient tant obnubilée.

La fin du Capitaine Crochet par Kim Minji

Quels sont tes antihéros préférés de la littérature ?

Pour ce qui est du antihéros, tenons-nous-en au fait qu’il s’agit simplement d’un protagoniste qui va à l’encontre des valeurs conventionnelles inculquées d’ordinaire aux personnages principaux. La définition s’étend de Jack Sparrow à Gaston Lagaffe en passant par Hannibal Lecter et Dexter ! Un sacré panel donc.

Pour ma part, j’ai une affection particulière pour Heathcliff (Les Hauts de Hurlevent) et Henry Wotton (Le Portrait de Dorian Gray) – les premiers protagonistes ambigus à m’avoir tant fascinée. Pour s’axer sur une période plus moderne, j’aime aussi beaucoup Lestat de Lioncourt des Chroniques des Vampires signées Anne Rice, Ig dans Cornes de Joe Hill ou encore Edo et Maximilian dans la saga Apocalypsis d’Eli Esseriam…

Lestat de Lioncourt

Quels conseils peux-tu donner pour construire un bon personnage ambivalent ?

Sans doute faut-il l’aimer autant que le haïr …

Quant aux conseils, je ne me sens pas du tout légitime à en procurer ! D’autant que je fonctionne beaucoup à l’instinct, je ne réfléchis pas vraiment à ma manière de procéder. La clef réside peut-être dans le fait de donner aux personnages ambivalents quelque chose d’authentique, d’humain, de se questionner sur ses enjeux et son parcours, une démarche qui peut finalement s’appliquer à chaque protagoniste.

Sans doute faut-il l’aimer autant que le haïr, présenter des actes détestables mais les contrebalancer par des choix bénéfiques, le rendre attachant en cultivant sa nature imparfaite. Je dirai que l’antihéros, tel que je le perçois, est en permanence sur le fil, entre l’antagoniste et le héros. Selon moi, le plus important est sans doute de ne jamais l’idéaliser. Surtout pas.

Au fil de ton récit, on voyage du Londres brumeux aux plages paradisiaques du Pays Imaginaire, en passant par la festive Nouvelle Orléans. Tu décris les lieux de manière très visuelle et immersive (j’ai été captivée par la cabine du Capitaine Crochet !). Comment travailles-tu sur les descriptions de tes univers ?

Christopher Isherwood narrant l’Allemagne effervescente en pleine montée du nazisme, JRR Tolkien relatant le charme bucolique de la Comté, le Paris misérable dépeint par Victor Hugo, l’atelier harmonieux de Basile prenant vie sous la plume d’Oscar Wilde, la chambre exubérante de Nana brossée par Emile Zola ou les villes d’inspiration Steampunk telles qu’Esther Brassac les a imaginées… Cette sensation de voir une scène, en mots, s’animer sous les yeux comme une projection dans les salles obscures, reste un sentiment inégalable pour un lecteur. J’adore lire les longues descriptions minutieuses ! C’est donc tout naturellement que j’aime en rédiger.

Des retours que j’ai eus de mes lecteurs, je possèderais un style « cinématographique ». Pour reprendre l’idée, je me figure les descriptions comme des longs plans séquences balayant l’entièreté d’une scène : fluides et méticuleuses.

La marche des enfants perdus par Guy Vasilovich

Plus jeune, je créais des dossiers complets d’images et de photos pour m’inspirer, qui correspondaient aux visuels de mes mondes inventés. Aujourd’hui, j’ignore pourquoi, mais je n’en ressens plus le besoin : les choses se font naturellement.

Peut-être ai-je fini par être plus intuitive, plus claire envers moi-même – en treize ans d’écriture romanesque, je suppose que j’ai acquis pas mal de références ou du moins quelques notions, j’ai fini par élaborer une pseudo liste spirituelle des paysages et monuments que j’aime, de décors qui m’ont marquée, d’ambiances particulières. Il m’arrive toutefois d’aller piocher des informations sur l’architecture, mes connaissances des termes spécifiques étant limitées.

Le Jolly Roger devait être à l’image de Hook : imposant, détérioré et sombre en apparence.

Lorsque j’écris, j’ai toujours une image précise en tête, une sorte de storyboard mental très détaillé. Sitôt qu’un endroit apparaît dans l’intrigue, je l’esquisse mentalement, je le relis à des images dont j’ai déjà connaissance – des lieux réels, des peintures, des descriptions piochées dans les livres d’Histoire – et j’étoffe le tout avec des détails, des ressentis, des touchers… En général, je laisse mon esprit vagabonder, détailler l’univers et le retranscrire par la suite.

Une sorte de balade mentale où tout doit être parfaitement clair : si je ne visualise pas les lieux avec exactitude, je sais que mes potentiels lecteurs n’y arriveront pas non plus.

S’il s’agit d’une pièce dite « intime », je fais en sorte qu’elle soit en adéquation avec le personnage ou au contraire de souligner son malaise si ce n’est pas le cas. Le Jolly Roger devait être à l’image de Hook : imposant, détérioré et sombre en apparence, là où la cabine le représente dans l’intimité (difficile d’accès, prisonnier du passé, cultivé, avec une certaine inclination pour les Arts, véritable témoignage de ses aventures, de son passé et de ses affections). Ce n’est pas pour rien s’il y a un rapprochement entre le couple principal dans la cabine, là où l’altercation avec « l’antagoniste » reste cantonnée au pont.

Et puis, d’une façon machinale, je reste attentive à ce qui m’entoure, surtout en voyage.

Garder l’esprit ouvert pour être prête à immortaliser un paysage, le retranscrire plus tard, faire une transposition imaginaire d’un lieu réel… J’ai été subjuguée par la puszta, les Cadini di Misurina, la vallée de la Châtaigneraie Cantalienne, les cheminées de fée du Colorado Provençal, les galeries versaillaises, les excentricités royales de Ludwig II de Bavière, les étendues turquoises de la Méditerranée…

Île de Porquerolles en Méditerranée

Tout cela m’a servi ou me servira tôt ou tard. Je suis persuadée que la curiosité, la soif de connaissances, la faculté à s’émerveiller de ce qui nous entoure, restent plus efficaces que n’importe quelle méthode.

Ton roman est parsemé de références littéraires, notamment classiques. Wendy et Crochet sont eux-mêmes des amateurs de littérature !  Quel est ton rapport avec la lecture ?

La littérature a vite été une échappatoire, une porte de sortie où tout était possible, surtout dans les périodes les plus difficiles.

Les livres ont toujours fait partie de ma vie, j’ai un rapport très serein et apaisé à la lecture, une avidité naturelle pour les mots. J’ai grandi dans une famille aux goûts éclectiques, sans élitisme. La culture n’était jamais taboue. Littérature estampillée classique, théâtre, poésie, romans contemporains, chick-lit, genres de l’imaginaire, textes novateurs, récits engagés, BDs en tous genres, mangas… Aucun livre n’était interdit, il n’y avait ni limite ni restriction.

J’écopais d’un avertissement tout au plus, si mes parents ou grands-parents jugeaient le contenu inadapté pour mon âge. Lorsque je m’entêtais à lire en dépit des avertissements, j’en faisais les frais moi-même et j’en étais quitte pour quelques nuits blanches [rires] !

La littérature a vite été une échappatoire, une porte de sortie où tout était possible, surtout dans les périodes les plus difficiles. De plaisir et de passion, les ouvrages sont devenus une nécessité, un refuge, tout comme l’écriture. Ils ont permis de contrebalancer l’anxiété sociale, les névroses, les peurs primaires. Je n’avais pas grand goût pour les études, je me sentais souvent en décalage avec les autres, « pas raccord » comme dirait Stephen Chbosky. Même si j’ai eu la chance de rencontrer des personnes exceptionnelles qui sont resté(e)s des ami(e)s proches, les livres demeurent des alliés fiables. Ils ne vous trahissent jamais, ne vous jugent pas ; ils sont patients et vous offrent ce dont vous avez besoin. Ils l’ont prouvé en des circonstances dramatiques.

A une période, je me trouvais dans un tel état de faiblesse que je ne pouvais plus dévorer de longs pavés ni rédiger le moindre article. A ce moment, ma mère m’avait offert fortuitement Jamais assez maigre de Victoire Maçon-Dauxerre et Les Ailes de la Sylphide de Pascale Maret, sans que je ne fasse le rapprochement avec mon propre état. C’est quand le point de non-retour a été presque atteint que certains passages me sont revenus en mémoire.

Je crois que ce constat a aussi contribué à me sauver : j’ai compris que si je ne me reprenais pas en mains, si je laissais mon corps se détériorer, le mental suivrait et je devrais renoncer à ma passion pour la culture et l’écriture. Quand le corps a entamé sa guérison, l’esprit a lui aussi commencé à sortir de sa léthargie. L’envie de lire et le besoin d’inventer des histoires se sont réveillés par la suite.

Peux-tu nous parler de tes inspirations, des livres qui t’ont marquée et que tu recommandes ?

Pour ce qui est des livres qui ont impacté mon parcours, il y en a eu tant ! Si mon inclination naturelle va vers l’imaginaire, que je lis beaucoup de fantastique, fantasy, épouvante ou steampunk, j’avoue que ce ne sont pas nécessairement les genres dans lesquels s’illustrent mes œuvres favorites…

Par exemple, je conserve une affection toute particulière pour la poésie que je dois à ma mère, avec une prédilection pour les maudits et les romantiques – Charles Baudelaire, Arthur Rimbaud, Paul Verlaine, Gérard de Nerval, Charles Cros, Louis Aragon, Vénus Khoury-Ghata, Lord Byron, Percy Shelley, John Keats, William Shakespeare, Dylan Thomas, Sylvia Plath, Attila József, Krzysztof Kamil Baczyński, Rupi Kaur mais là, clairement, je m’emballe.

Arthur Rimbaud

Si je ne devais retenir qu’un seul recueil, je dirais sans grande originalité ma jolie intégrale de Rimbaud, aux éditions ültim. Eh oui c’est tricher mais je serais incapable de trancher entre ses Poésies, sa Saison en enfer et ses Illuminations !

Pour rester dans les suggestions plus spécifiques, mes ouvrages cultes comptent le chef-d’œuvre d’urban fantasy Neverwhere signé Neil Gaiman, la déchirante Ballade de l’Impossible d’Haruki Murakami, le puissant Les Hauts de Hurlevent d’Emily Brontë, le diptyque de flibusterie au féminin Lady Pirate de Mireille Calmel, le drame historico-romantique Expiation de Ian McEwan, l’inénarrable idylle cauchemardesque relatée par Cornes de Joe Hill et La nuit des Rois, lequel présente la meilleure héroïne shakespearienne : Viola.

Je harcèle aussi mon entourage avec Christopher Isherwood, un immense auteur britannique trop méconnu en France a qui l’on doit l’excellent recueil Adieu à Berlin. Toutefois, un roman reste indétrônable depuis plus d’une décennie et il s’agit du Portrait de Dorian Gray. Un coup de foudre inégalé. Je pense que tous ces textes donnent une vision assez juste de mes inspirations et guides.

J’ai beaucoup aimé ton intrigue (et sa fin surprenante). Est-ce que tu planifies tes histoires en amont, ou préfères-tu écrire au fil de l’eau ?

Cette réponse ne va pas nous avancer beaucoup mais un peu des deux, il me semble ! En cas d’inspiration, je m’assure d’avoir de quoi rédiger au débotté, j’ai des applications sur mon téléphone qui sont bien utiles à cet usage et toujours un carnet qui traîne dans mon sac. Souvent, j’inscris quelques réflexions – une liste de personnages avec des vagues indications physiques, une série de lieux ou d’idées, des répliques qui font mouche, une trame musicale pour m’immerger dans de futures ambiances, rien de très détaillé.

Après quoi, je me laisse porter au fil de l’eau.

En revanche, il y a un rituel saugrenu auquel je ne déroge jamais : écrire le prologue et les toutes dernières phrases de l’épilogue avant de me lancer dans le corps du récit. Partant de là, je considère le tout, ce début, cette fin, les quelques moments qui m’apparaissent clairement comme des passages primordiaux… Je sais où le périple débute, j’ai connaissance de certaines escales et je prévois la destination. Pour le reste, tout le voyage est à définir.

Tant que Vole la Poussière est ton premier roman publié. Beaucoup des lecteurs de ce blog aimeraient écrire mais n’osent pas faire le premier pas ou n’arrivent pas à persévérer. Quel conseil donnerais-tu pour parvenir à se lancer ?

Si vous avez envie d’écrire, écrivez ! Il vaut mieux encaisser un échec que subir des regrets.

Je ne me pense vraiment pas apte à conseiller qui que ce soit… Je peux juste partager mon expérience. Je pense, déjà, qu’il faut se demander pourquoi on écrit. Pour expier quelque chose, pour le plaisir, pour l’envie d’être lu, par besoin de s’échapper ? A part une course absurde à la popularité, toutes les raisons pour lesquelles vous écrivez sont valables et ne doivent jamais être méprisées. Il faut garder à l’esprit que les mots, tels que nous les avons pensés à un moment précis, avaient leur importance, qu’ils nous ont peut-être fait du bien et que, dans tous les cas, ils n’étaient pas vains.

Actuellement, j’ai seize manuscrits qui dorment sur mes disques durs. Je sais pertinemment que je ne reviendrais jamais à certains, là où d’autres continuent à exister dans un coin de mon esprit – dont un diptyque d’urban fantasy auquel j’ai consacré beaucoup de temps à mon adolescence et dont le personnage principal m’accompagnera toujours. Lorsque je relis ces textes, je trouve certains assez bons, d’autres exécrables mais je reconnais aussi quelques éléments récurrents de ce qui doit être mon style et mon univers.

Chaque tentative n’est peut-être pas concluante, pourtant elle apporte beaucoup et marque une progression : travail de la plume, recherches en tous genres, construction d’intrigue… Un conseil, un seul : si vous avez envie d’écrire, écrivez ! Il vaut mieux encaisser un échec que subir des regrets.

As-tu déjà été confrontée à la peur de la page blanche et si oui, qu’as-tu fait pour en sortir ? As-tu des rituels pour stimuler ton inspiration ?

Si je n’ai jamais eu de syndrome de la page blanche, il m’est arrivé de ne pas réussir à écrire par ennui, fatigue ou abattement. Lorsque j’étais trop faible ou trop triste pour écrire, il n’y avait pas d’autres solutions que d’attendre, de patienter jusqu’à ce que la situation s’améliore.

Il est vital de se connaître, de savoir si l’écriture, dans ce cas, aura un effet catharsis ou ne fera que vous engluer davantage dans le malheur. A certaines périodes déprimantes ou amères, je me retranchais dans des poèmes, des nouvelles. La forme choisie était courte, mon style brutal et mes idées sans concession : un excellent moyen d’évacuer le chagrin.

Pour ce qui est de l’ennui, je dois avouer que je me lasse très vite, je décroche facilement, même après avoir travaillé des mois sur un projet… Dans la vie comme dans l’art, j’ai besoin de changements, d’être stimulée et d’évolution en permanence. Si une trame n’avance pas assez vite, je finis par avoir le sentiment d’en avoir fait le tour et la dédaigner – c’est aussi pour cela que je finis très peu de séries télés ou de sagas littéraires : la lassitude, encore et toujours. J’ai conscience qu’il s’agit d’un défaut majeur chez moi. Pour lutter contre ce travers, je n’ai qu’une solution : la régularité.

Cela fait d’ailleurs partie de mes rituels (art de la transition 😊 !) : j’essaie d’écrire tous les jours, même si le résultat demande à être retravaillé par la suite.

La porte est fermée, je suis à mon bureau avec une énorme théière en prévision et je me coupe du reste du monde.

Comme dit plus haut, j’apprécie aussi l’accompagnement d’une trame musicale et j’établis donc une playlist en amont, qui s’enrichit au fur et à mesure.

Je l’écoute soit pendant la rédaction, soit juste avant de m’atteler à une séance d’écriture. J’aime me mettre en condition. Idéalement, je marche plusieurs minutes avec des morceaux précis dans les oreilles ou je profite de mon retour du travail, du cocon offert par ma voiture, pour m’immerger dans une ambiance sonore : cela me permet de me vider la tête de la routine, de faire un premier pas dans mon monde fictif, enfin, de me projeter dans le passage que je vais écrire.

Lorsque je m’installe au clavier, je suis déjà dans les bonnes conditions pour ignorer tout ce qui se passe autour : la porte est fermée, je suis à mon bureau avec une énorme théière en prévision et je me coupe du reste du monde. Pas de réseaux sociaux, pas de téléphone, pas de parasitage ! Il y a moi, mon manuscrit et rien d’autre ne vient interférer. Cette petite bulle d’égoïsme est primordiale : c’est un moment privilégié propre aux auteurs, le seul où vous n’avez aucune concession à faire.

A ce sujet, je me rappelle avoir détesté Une chambre à soi (de Virginia Woolf, Ndlr) au lycée. Avoir un espace privé pour travailler et un petit revenu pour se consacrer à l’écriture sans subir le poids des préoccupations matérielles… A l’époque, j’étais persuadée que ces points ne faisaient désormais plus sens, que cet essai était désuet et rétrograde. J’ai redécouvert le texte il y a trois ans et j’ai compris alors que les idées soulevées par Virginia Woolf étaient vitales pour les romancier(e)s en herbes, qu’il était important de le lire.

Du reste, être bien entouré(e) est essentiel : l’équipe de Magic Mirror (en particulier Sandy, Maroussia, Mina, Marie B. et Marie C.) a fait beaucoup pour me donner un sentiment de légitimité et me conforter dans la certitude que j’avais du talent, alors que j’étais persuadée de n’avoir ni l’un ni l’autre.

Mais bien avant l’édition, j’ai pu compter sur ma famille, mes ami(e)s et mes copines romancières qui ont été de merveilleux soutiens, des alliés de tout instant. Ici, je pense surtout à ma mère, ma grand-mère et mon frère qui ont droit à leurs deux pages quotidiennes avec obligation de retours après lecture [rires] !

Ce sont mes bêtas-lecteurs attitrés, une chance pour moi car ils ont des profils et des goûts très différents. J’avoue, d’une façon un peu sadique, que j’adore les regarder débattre sur mon texte, extrapoler des rebondissements ou imaginer le dénouement… Si je parviens à accrocher les trois, généralement, je suis sur la bonne route !

Enfin, peux-tu nous parler de tes projets d’écriture en cours ou à venir ?

Je travaille sur une nouvelle réécriture qui entremêle culture italienne et folklore nippon.

J’essaie surtout de ne pas tomber dans mes vieux travers et de me disperser, au risque de ne rien achever… Ce que je suis exactement en train de faire en ce moment [rires] !

Je serais bien tentée, par pur esprit de contradiction, de m’attaquer aux genres qui me posent souvent un problème en tant que lectrice, à savoir la comédie romantique et le roman érotique ! Je suis curieuse de voir si je peux tirer profit ou non de mon aversion pour ces deux types de récit. Un sacré défi.

Sinon, une nouvelle devrait voir le jour fin 2021 pour une anthologie bien spécifique mais je ne peux pas en dire plus.

Pour le moment, je peux surtout évoquer un projet qui est en bonne voie et poursuit son chemin malgré les aléas de 2020 : depuis plusieurs mois déjà, je travaille sur une nouvelle réécriture qui entremêle culture italienne et folklore nippon. J’espérais pouvoir proposer le manuscrit à Magic Mirror courant octobre ; malheureusement, j’ai pris beaucoup de retard. Si j’ai hâte de le confier à Sandy et son équipe, de partager avec les lecteurs un nouvel univers très différent de Tant que vole la poussière, je ne compte pas précipiter la rédaction pour autant. Il faudra donc patienter.

Le conte en question étant bien plus ancien et moins détaillé que Peter Pan, la conséquence est à double tranchant. En effet, le prestige du Pays Imaginaire et la richesse de ses personnages me limitaient d’un point de vue créatif car tout, ou presque, figurait déjà dans l’œuvre de Barrie ; sur ce nouveau projet, j’ai la sensation d’être totalement affranchie, d’avoir tout à construire, les protagonistes et leur monde.

Une si grande liberté a de quoi effrayer. Si le sentiment est très exaltant, j’ai parfois l’impression d’avoir été trop présomptueuse. La trame prévue, très dense et ambitieuse, me tracasse un peu…

Entre temps, une autre source de stress est apparue : en plus de la présélection au PLIB 2021, les retours pour Tant que vole la poussière ont globalement été très positifs et j’ai reçu pas mal de messages exprimant leur impatience de découvrir mon prochain projet. C’est porteur et terrifiant ! J’avoue avoir peur de décevoir, d’autant que le syndrome du deuxième roman est une malédiction souvent évoquée dans le milieu ! Je redoute bien plus ce syndrome-ci que la page blanche ! Enfin, nous verrons. Chi va piano va sano.

Sur quels sites ou réseaux sociaux peut-on te retrouver ?

Je suis toujours ravie de discuter sur Instagram et Facebook… En attendant la création prochaine d’un site Internet, peut-être.

Merci beaucoup Cameron pour tes réponses captivantes !

Merci encore, Charlotte, pour ce long entretien qui m’a poussée à réfléchir sur mon moi auteur. C’était très
intéressant et j’espère avoir donné quelques pistes aux lecteurs du blog !

Retrouvez Tant que vole la poussière de Cameron Valciano ici

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  • Elena le 05/11/2020 à 19 h 38 min

    Très intéressant ! 😊 Cette nouvelle rubrique me plaît. Ça permet de découvrir de nouveaux auteurs.

    • Charlotte le 06/11/2020 à 12 h 04 min

      Coucou Elena, merci pour ton message 🙂