Un roman, c’est avant tout des personnages : le lecteur va vivre et ressentir l’aventure par leur biais. Ils sont le vecteur humain, ce qui provoque l’émotion et l’attachement au récit. Autant dire que créer de bons personnages est l’une des clés pour réussir son roman !
L’idéal est de parvenir à donner à son personnage une âme, une vibration qui lui est propre, pour que le lecteur le perçoive comme vivant.
Comment faire ?
J’ai conçu un kit d’écriture spécifique autour de ce sujet : « Créez des personnages attachants »
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Sachez que l’on peut notamment créer un personnage complexe, unique et cohérent grâce à sa manière de parler. C’est sur ce point que nous allons nous concentrer aujourd’hui 🙂
Bien caractériser la voix de son personnage, c’est apporter des informations précieuses sur son intériorité et ce qui le différencie des autres, tout en le rendant vivant aux yeux du lecteur.
Nous allons voir comment lui façonner une voix unique. Et en bonus, retrouvez à la fin de l’article une fiche listant 50 adjectifs pour décrire la voix de son personnage !
1. Adapter son vocabulaire
Le vocabulaire est la matière première à partir de laquelle le dialogue se construit. C’est un outil de base pour caractériser la voix d’un personnage.
En effet, le niveau de vocabulaire n’est pas le même d’un personnage à un autre. Il varie en fonction du vécu, du tempérament et de l’éducation d’un personnage. Un individu au vocabulaire riche a plus de mots à sa disposition, et peut utiliser des termes plus précis pour s’exprimer.
Le vocabulaire traduit le niveau de langue : familier, courant ou soutenu. Associer l’un ou l’autre de ces niveaux à la voix du personnage est un moyen de bien le caractériser, si on veille à ne pas tomber dans la caricature 😊
Enfin, les spécificités sémantiques du vocabulaire d’un personnage peuvent traduire ses passions, ses centres d’intérêt ou sa profession. Un officier disposera de toute une gamme de termes techniques liés au combat, alors qu’un druide connaîtra le nom des plantes sur le bout des doigts. Teinter le vocabulaire du personnage de quelques termes spécifiques (sans alourdir le récit par un abus de mots compliqués) est aussi une manière de caractériser sa voix.
Voici un extrait de Notre Dame des Loups, d’Adrien Tomas, un roman qui met en scène une troupe de veneurs traquant des loups-garous. Jonas, l’artilleur de la bande, explique à une nouvelle recrue comment fabriquer des munitions.
« Tous nos flingues sont des colts Cavalry. Ils crachent du quarante-cinq. C’est le moule là-bas. En général, sur dix perles créées, y en a sept pour les colts et trois pour les autres armes : ma vieille pétoire, dont on se fout puisqu’elle part à la retraite ; la Winchester d’Evangeline ; le pistolet de Würm, qui a un calibre particulier ; et la Springfield de feu Arlington. En général, les canons longs sont bien pour le tir de précision à longue distance, mais la plupart des Veneurs préfèrent le contact : on voit tout de suite s’il (le loup-garou) est mort ou non. A distance, il y a toujours une chance qu’il soit blessé et simule sa mort, pour nous sauter dessus au moment où on s’approche. Je t’apprends rien : ces saloperies sont rusées. »
Qu’est-ce qui ressort de cet extrait ? Mélange de langage familier (voir argotique), de précision en ce qui concerne les armes et d’expérience du terrain … La manière dont Jonas s’exprime dresse instantanément un portrait dans l’esprit du lecteur : celui d’un vieux briscard, pas très distingué, mais qui en connait un rayon dans son domaine.
2. Travailler le rythme de ses phrases
Dans un dialogue, je trouve que le rythme adopté par un personnage est encore plus parlant que le vocabulaire qu’il emploie. Les mots peuvent être choisis, alors que le rythme, lui, traduit un élan, quelque chose d’instinctif que le personnage ne peut pas contrôler, et qui exprime une facette de sa personnalité.
Chez certains personnages, les bons mots fusent tandis que d’autres bredouillent. Selon les tempéraments, la colère se traduit par des phrases explosives ou au contraire par de longues répliques venimeuses. Certains s’expriment de manière concise et factuelle tandis que d’autres théâtralisent tout ce qu’ils racontent. La tendance à rester silencieux peut aussi être une caractéristique révélatrice du tempérament d’un personnage …
Dans Le Sorceleur d’Andrzej Sapkowski, les paroles échangées entre Geralt et Jaskier donnent un bel exemple de caractérisation par le rythme. Geralt, chasseur de monstres taciturne, parle peu et de manière sèche et lapidaire. A l’opposé, Jaskier, barde fantaisiste, adore palabrer avec emphase sur tous les sujets possibles.
En résulte un duo contrasté, complémentaire et parfois comique. Geralt a tendance à être exaspéré par la volubilité de son compagnon, mais on sent qu’il apprécie malgré tout sa compagnie, peut-être justement parce que chacun apporte à l’autre ce qui lui fait défaut.
« – On a du mal à croire que c’est le bout du monde, la fin de la civilisation, dit Jaskier. Regarde autour de toi, Geralt ! Le seigle est doré comme de l’or, et ce maïs est si haut qu’un paysan à cheval pourrait s’y cacher. Ou encore ces navets, regarde ! Ils sont plus qu’énormes !
– Tu t’y connais en agriculture ?
– Nous, les poètes, nous devons nous y connaître en tout, dit Jaskier, d’un ton grandiloquant. Dans le cas contraire, nous risquerions de compromettre notre réputation. Il faut apprendre, mon cher, toujours apprendre. Le destin du monde dépend de l’agriculture, alors il est bon de s’y connaître.»
3. Lui attribuer une expression fétiche
Un autre moyen de caractériser un personnage par le dialogue est de lui attribuer une expression fétiche, qui sera sa signature langagière. Ce procédé est à manier avec des pincettes, mais quand il est bien mené le résultat est savoureux !
Je pense notamment à George R. R. Martin qui excelle en la matière dans Le Trône de Fer. Les sentences favorites de ses personnages sont devenues des répliques cultes. Elles sonnent bien tout en révélant un peu de la personnalité de ceux qui les prononcent.
« Tu ne sais rien, Jon Snow », réplique favorite d’Ygritte, marque la différence de vécu entre les deux personnages (Ygritte est une sauvageonne rompue à la vie rude au-delà du Mur, Jon Snow a grandi dans un château). Mais cette expression traduit aussi une certaine complicité (Ygritte se moque gentiment de Jon, elle le titille en pointant du doigt sa naïveté).
Dans un registre plus familial, « L’hiver vient » est la devise des Stark : elle reflète le fatalisme et la robustesse de cette maison du grand nord, habituée à vivre dans des conditions bien plus difficiles que ceux résidant au sud du royaume.
Dans La Passe-Miroir de Christelle Dabos, les grandes familles ont aussi leurs tics de langage et expressions typiques, où se glissent des mots empruntés à différentes langues de notre monde.
Ainsi, ceux qui résident à Babel ponctuent volontiers leurs phrases de termes anglophones (« Of course, vous êtes intéressante ! ») tandis que le dialecte des habitants de Sérénissime s’inspire plutôt de l’italien (« Est-ce un reproche que je perçois dans ta voix, signorina ? »). Les habitants du Pôle ont, quant à eux, l’accent rude du Nord.
C’est une manière de caractériser les arches pour les différencier les unes des autres, et renforcer la couleur locale qui se dégage de chacune d’elle.
La palme revient toutefois aux habitants d’Anima, l’arche des animistes, où les objets ont une telle importance qu’ils s’invitent dans les expressions locales (« Thorn, dans quelle soupière êtes-vous allé me mettre ? »). Le dialecte des animistes contribue à rendre ce peuple singulier et attachant !
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4. Orienter ses propos
Après la forme, intéressons-nous au fond. Car, si la façon dont parle un personnage est révélatrice de qui il est, les propos qu’il tient le sont tout autant.
Ce que dit un personnage traduit sa vision du monde. Une même information pourra être présentée de manière totalement différente selon le prisme du personnage qui l’expose. Ainsi, quand on donne une information par le biais de la conversation d’un personnage, elle passe par le filtre de son point de vue et doit en être imprégnée.
En outre, le contenu de la conversation nous fait ressentir les valeurs et désirs du personnage.
Prenons pour exemple un dialogue du 1er tome du Trône de Fer de George R.R. Martin (attention SPOIL) que je trouve intéressant car il confronte deux personnages fondamentalement différents. D’un côté il y a Ned Stark, animé par un sens de l’honneur à toute épreuve. De l’autre se trouve Cersei Lannister, qui est sournoise et manipulatrice.
Dans l’extrait suivant, Ned prévient Cersei : il a découvert le terrible secret qu’elle cache à son mari, le roi, et s’apprête à le lui révéler. Cependant, comme Ned est un homme bon, il tient Cersei au courant pour qu’elle puisse s’enfuir avant d’avoir à subir le courroux du roi.
« -Vous savez ce que je dois faire, dit Ned.
– Dois ? répondit Cersei. » Sa main vint se poser sur la jambe valide, juste au-dessus du genou. « Un homme digne de ce nom fait ce qu’il veut, non ce qu’il doit. » En guise de promesses on ne peut plus câlines, ses doigts lui flattaient imperceptiblement la cuisse (…) « Si les amis peuvent devenir ennemis, les ennemis peuvent devenir amis, Ned. Ta femme est à mille lieues d’ici, mon frère a pris la fuite. Sois bon pour moi, Ned, et je te jure que tu n’auras pas à le regretter. »
– Avez-vous fait la même offre à Jon Arryn ?
Elle le gifla.
– Je porterai ce soufflet, dit-il sans s’émouvoir, comme un signe d’honneur. »
Tout est exprimé en quelques phrases : le sens de l’honneur de Ned et le côté retors de Cersei. Ce passage ne nous dit pas comment sont les personnages, il nous le fait ressentir par leurs propos.
Cet extrait nous montre aussi que le langage du corps est important, qu’il est complémentaire au dialogue pour éclairer la personnalité des protagonistes.
Voilà pour ces quelques réflexions autour de la voix du personnage 😊
Nous avons vu comment caractériser les dialogues grâce :
– Au vocabulaire
– Au rythme des phrases
– Aux expressions favorites des personnages
– À leurs propos
J’ajouterais trois petites réserves sur le sujet :
– À titre personnel je n’aime pas modifier l’orthographe des mots pour signifier l’accent des personnages, je trouve le rendu plutôt pénible à lire …
– Mieux vaut rester subtil et éviter les caricatures
– Caractériser la voix de son personnage, c’est important. Mais n’oubliez pas que sa manière de parler doit aussi s’adapter au contexte ! On ne s’exprime pas de la même manière avec son amant qu’en face de son ennemi, et l’élocution d’un personnage différera selon qu’il se trouve devant une foule de mille personnes ou au bistrot du coin.
Enfin, un dernier conseil : relisez vos dialogues à voix haute pour vérifier qu’ils sonnent bien !
CADEAU BONUS
J’ai conçu pour vous une fiche PDF listant 50 adjectifs pour décrire la voix de vos personnages 🙂
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Ton article est vraiment intéressant avec « l’étude » de ces différents extraits. J’essayerai d’y faire plus attention au cours de mes prochaines lectures. Merci!
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