Voici le tout dernier article de ma série Cinq sens & écriture. On finit en beauté avec la vue !
Voir, c’est bien plus qu’observer. Dans l’écriture d’un roman, la vue devient un véritable fil conducteur : elle guide le lecteur, révèle des émotions, fait palpiter l’atmosphère d’une scène.
Pourtant, décrire ce que l’on voit ne se réduit pas à un catalogue d’objets ou de paysages. Il s’agit d’apprendre à regarder avec finesse, à capter les mouvements, à choisir les détails qui parlent d’eux-mêmes, et parfois même à laisser l’imaginaire compléter ce que l’œil devine.
Dans cet article, nous explorerons comment la vue peut enrichir le récit : de la fluidité des descriptions à la puissance symbolique des couleurs, en passant par l’art de révéler l’invisible…
Décrire sans figer : la vue en mouvement
Une erreur fréquente est de vouloir tout montrer d’un coup : chaque couleur, chaque détail, chaque ombre. Or, la vue humaine ne fonctionne pas ainsi. On ne « voit » pas tout en même temps ; notre regard se déplace, sélectionne, s’attarde.
Pour rendre une description vivante, imaginez la scène comme une caméra en mouvement :
- Commencez par une impression d’ensemble.
- Faites glisser le regard sur un détail révélateur.
- Terminez sur un élément signifiant ou symbolique.
Par exemple : « Le salon baignait dans une lumière laiteuse. Sur la table, une tasse refroidissait. Et, au mur, le portrait de sa mère semblait la suivre du regard. »
👉 Ici, un simple déplacement du regard crée une dynamique émotionnelle.
Ciseler ses descriptions pour dévoiler l’essentiel
Décrire suffisamment est important pour immerger le lecteur dans votre univers.
Mais attention aux excès : décrire, ce n’est pas peindre à la truelle. La tentation d’utiliser un florilège de couleurs, d’adjectifs et de comparaisons est forte mais contreproductive. La justesse naît souvent du choix précis des mots que l’on emploie.
- Ciblez quelques détails puissants plutôt qu’une accumulation.
- Demandez-vous ce que les éléments que vous choisissez de mettre en lumière disent de votre histoire et de vos personnages. Dans la chambre d’un couple qui se sépare, un papier peint qui tombe en lambeaux aura plus d’impact émotionnel que la description d’une lampe Ikea…
- Privilégiez les verbes forts et visuels. Ils auront plus de poids et marqueront davantage l’imagination.
« Une description trop succincte laissera le lecteur désorienté et myope. Une description surabondante le noiera de détails et d’images. Le truc, c’est de trouver le juste milieu. Il est aussi important de déterminer ce qu’il faut décrire que ce qu’il vaut mieux laisser dans l’ombre, pour ne jamais perdre de vue que votre boulot principal est de raconter une histoire. Une description commence dans l’imagination de l’écrivain et doit s’achever dans celle du lecteur. »
Stephen King
Voir au-delà du visible
La vue en écriture n’est pas seulement une affaire d’yeux : c’est aussi une porte vers l’invisible, une manière d’accéder à ce que les personnages ne disent pas ou ne savent pas encore qu’ils ressentent.
Car la manière dont un personnage regarde le monde révèle son état intérieur : ses peurs, ses élans, ses manques, ses blessures. Les couleurs, les formes, les lumières deviennent alors des miroirs émotionnels.
Une scène visuelle peut être factuelle, mais elle est toujours traversée par une interprétation intime : celle du narrateur, d’un personnage, ou même celle que l’auteur souhaite insuffler au lecteur.
Ainsi, l’auteur, en décrivant, met en lumière des vérités cachées :
- Un regard détourné ne montre pas forcément une direction : il peut exposer la honte, la peur d’être vu, la volonté de se protéger.
- Une couleur fanée n’est pas qu’un pigment passé : elle ouvre sur les regrets, voire sur le souvenir d’un passé plus vif.
- Une lumière trop blanche ne se contente pas d’éclairer : elle trahit la douleur, la froideur ou l’incapacité à se réfugier dans l’ombre.
👉 Ici, la vue cesse d’être un simple sens d’observation pour devenir un langage révélateur, une passerelle entre le tangible et l’intime.
Petit précis de symbolique des couleurs
Les couleurs participent à l’ambiance émotionnelle de vos scènes. Je trouve leur symbolique passionnante à travailler pour déployer l’atmosphère de son roman !
Ainsi, un récit gothique jouera sur les couleurs sombres tandis qu’un roman sentimental s’amusera avec des teintes pastel (c’est caricatural, mais vous voyez l’idée 😉). On retrouve d’ailleurs ce choix esthétique sur les couvertures des livres.
N’hésitez pas à vous amuser avec votre palette colorimétrique d’écrivain :
- Sépia / couleurs délavées : pour les souvenirs, les scènes nostalgiques ou les retours en arrière.
👉 Évoque le temps qui passe et une certaine patine mélancolique. - Rouge / carmin / écarlate : pour les scènes passionnées, explosives ou violentes.
👉 Ces couleurs amplifient l’intensité émotionnelle, le désir et le danger. - Vert / Vert-de-gris : pour une ambiance malsaine, dérangeante ou toxique (littéralement ou symboliquement).
👉 Ces teintes symbolisent l’empoisonnement et le doute insidieux. - Jaune pâle / nuances évanescentes : pour les scènes d’attente et de lassitude.
👉 Ces tons donnent un sentiment de faiblesse, de vacillement ou de torpeur. - Turquoise / bleu limpide : pour les scènes d’apaisement, de lucidité, d’ouverture.
👉 Ce sont les coloris idéaux pour les moments de respiration ou de connexion. - Violet profond / indigo : pour les scènes mystiques et oniriques.
👉 Ces nuances créent une impression mystérieuse, presque sacrée. - Or / blanc / coloris lumineux : pour les scènes de triomphe, de catharsis, de transcendance.
👉 Les couleurs éblouissantes évoquent la clarté, la réussite, la purification. - Noir / teintes sombres (anthracite, encre, charbon) : pour les scènes oppressantes, ténébreuses, tragiques ou dangereuses.
👉 Ces tons amplifient le désespoir et la menace. - Tons métalliques (acier, chrome, argent) : pour les scènes froides et technologiques, voire aliénantes.
👉 Voilà les tons parfaits pour la science-fiction, les environnements industriels ou les atmosphères inhumaines. - Pastel (rose poudré, bleu ciel, vert d’eau) : pour les scènes tendres, poétiques, romantiques.
👉 Cette palette accompagnera joliment les ambiances intimistes ou rêveuses, les souvenirs d’enfance et les rapprochements émotionnels.
Bien sûr, il ne faut pas prendre ces indications au pied de la lettre ! Mais il est toujours intéressant de connaître cette symbolique pour jouer avec (ou en prendre le contre-pied).





Merci pour cet article et cette série très enrichissants !
J’espère que vous continuerez à écrire ces précieuses aides à l’écriture !
Bonne continuation !
FanDeLaPasseMiroir
Merci à vous pour ce message !