Écriture

Choisir le point de vue de son roman

28/02/2022

Cette semaine, je vous propose d’explorer l’une des bases à connaître quand on veut écrire un roman : le choix du point de vue 🧐

Qu’est-ce que j’entends par là ? Le point de vue d’un texte, c’est le regard à travers lequel le lecteur pourra suivre l’histoire.

Ainsi, il faut différencier auteur et narrateur : le premier est la personne réelle qui écrit le roman, tandis que le second est l’être de fiction qui le raconte. C’est la « voix » de ce dernier qui nous importe ici.

Voyons quels sont les différents points de vue :

Le point de vue omniscient

Il ne se concentre pas sur une vision des choses, mais s’ouvre sur un champ illimité de connaissances. Le narrateur sait absolument tout de l’histoire et des personnages. Ses informations viennent de sources variées (pensées de tous les personnages, marche du monde, genèse de l’univers, histoire du lieu …).

Bien sûr, cela ne veut pas dire qu’il faut tout déballer d’un coup ! Au contraire, cette forme de narration structure le récit en faisant le choix de dévoiler certains éléments de l’histoire au fur et à mesure. Il faut savoir la manier subtilement.

✍️ Avantages/inconvénients : Le point de vue omniscient est très ouvert, il offre donc une grande liberté, puisqu’on a accès à tout un tas d’informations. En revanche, cette narration peut sembler désincarnée, puisqu’elle n’est pas focalisée sur la subjectivité de l’un des protagonistes de l’histoire …

📚 Citons cet extrait des Dix Petits Nègres d’Agatha Christie :

« Ce fut un repas étrange. Chacun se montrait d’une prévenance extrême :
– Voulez-vous encore un peu de café, miss Brent ?
– Une tranche de jambon, miss Claythorne ?
– Un autre toast ?
Six personnes, extérieurement calmes et maîtresses d’elles-mêmes.
Mais intérieurement ? Des pensées qui tournaient en rond comme des écureuils en cage…
« Et maintenant ? Et maintenant ? Qui ? Lequel ? »
« Est-ce que ça va marcher ? Je me demande… Mais ça vaut le coup d’essayer. Seulement est-ce que nous aurons le temps ? Bon Dieu, est-ce que nous aurons le temps?… »
« Folie mystique, à tous les coups… Pourtant, à la regarder, on ne croirait jamais… Et si je me trompais?… »
« C’est dingue… tout est dingue. Je deviens dingue. De la laine qui disparaît… des rideaux en toile cirée rouge… ça n’a ni queue ni tête. Je ne comprends le comment du pourquoi… »
« L’imbécile ! Il a cru tout ce que je lui ai dit. Simple comme bonjour… Il faut quand même que je sois prudent, très prudent. »

Le point de vue interne

Le narrateur et le personnage ne font qu’un. Ce point de vue se concentre sur sa subjectivité : on ne voit que ce qu’il voit, on n’entend que ce qu’il entend, on ne ressent que ce qu’il ressent. Les descriptions et autres perceptions de l’histoire sont ainsi infusées du point de vue de ce narrateur/personnage. Il faut donc prendre en compte son vécu et sa personnalité pour incarner le texte de la bonne manière !

Dans la focalisation interne, le narrateur fait partie de l’histoire (qu’il s’agisse du héros ou d’un personnage secondaire, comme c’est le cas de Watson dans Sherlock Holmes d’Arthur Conan Doyle). Il est donc impliqué dans celle-ci, ce qui est intéressant pour donner de l’impact au récit.

À lire aussi : Écrire un roman policier

✍️ Avantages/Inconvénients : Ce point de vue limite forcément les informations que l’on peut délivrer au lecteur, puisqu’on a accès uniquement aux émotions/perceptions d’un personnage. En revanche, il permet une narration orientée sur l’émotion, qui a une certaine épaisseur. C’est l’idéal pour que le lecteur s’attache et s’identifie au personnage en question ! Personnellement, c’est le point de vue que je préfère, et aussi celui que je trouve le plus facile à manier de façon efficace.

Le point de vue interne peut s’utiliser :

À la première personne

La première personne rapproche encore plus lecteur et narrateur (mais tout le monde n’est pas à l’aise avec l’emploi de la première personne et il ne faut pas se forcer). C’est un ressort souvent utilisé en littérature ado/young adult, mais pas que !

📚 Voici par exemple un extrait de Hunger Games (Suzanne Collins) :

« Soudain, je suis furieuse. Ma vie est en jeu, et ils n’ont pas la décence de m’accorder un regard. Ils préfèrent s’intéresser à un cochon crevé. Mon pouls s’emballe, mes joues s’échauffent. Sur un coup de tête, je sors une flèche de mon carquois et la décoche vers la table des Juges. Tout le monde s’écarte avec des cris d’effroi. La flèche arrache la pomme dans la gueule du cochon et la cloue au mur. On me dévisage avec incrédulité.
– Merci pour votre attention, dis-je.
Une légère courbette, puis je gagne la sortie sans attendre qu’on me le demande. »

À la troisième personne

Ici, le rapprochement lecteur/personnage est moins direct, mais il peut être tout aussi efficace si la narration est bien menée.

📚 C’est notamment le cas du Trône de Fer (George R.R. Martin) :

« Ainsi qu’il lui advenait parfois à l’improviste, mais de loin en loin, le sentiment de sa bâtardise enchanta soudain Jon Snow (…). Aussi la saveur fruitée du liquide sur ses papilles lui mit-elle aux lèvres un sourire de satisfaction. »

💡 Souvent, le point de vue interne reste celui du même personnage sur tout le roman. Mais il arrive que le récit alterne entre le point de vue de différents protagonistes. Cela permet de jouer avec la narration en montrant une même situation vue par les yeux de personnages variés ! C’est justement le cas du Trône de Fer, où chaque chapitre nous permet de suivre l’intrigue par les yeux de personnages différents, et parfois ennemis, ce qui apporte de l’envergure à l’histoire.

À lire aussi : Les conseils d’écriture de George R. R. Martin

Le point de vue externe

Comme son nom l’indique, avec ce point de vue, le narrateur est totalement extérieur à l’histoire. Ainsi, les personnages agissent sous nos yeux sans que nous ayons accès à leurs pensées ni à leurs sentiments. Le point de vue externe s’accorde logiquement avec l’emploi de la troisième personne.

💡 Pour mieux vous figurer le point de vue externe, imaginez qu’il s’agit d’une caméra, lors du tournage d’un film : elle se pose sur des scènes, des paysages, des visages exprimant des émotions … mais ne rentre pas dans la tête des personnages.

✍️ Avantages/Inconvénients : Cette narration apporte un focus très visuel, ainsi qu’une bonne dose de mystère à l’histoire. En revanche, on peut avoir du mal à y accrocher, car ce point de vue ne peut retranscrire l’intériorité et les émotions des personnages. Certains romans utilisent le point de vue externe dans leurs premières pages, pour intriguer le lecteur par une présentation mystérieuse des personnages ou d’une situation. Cela reste, pour moi, un point de vue très délicat à gérer.

📚 Citons Les Misérables de Victor Hugo :

« Dans les premiers jours du mois d’octobre 1815, une heure environ avant le coucher du soleil, un homme qui voyageait à pied entra dans la petite ville de Digne. Les rares habitants qui se trouvaient en ce moment à leurs fenêtres ou sur le seuil de leurs maisons regardaient ce voyageur avec une sorte d’inquiétude.»

Et voilà pour cet article sur les points de vue dans l’écriture d’un roman 🙂

Pour finir, rappelons qu’il n’y a pas de bon ni de mauvais choix de point de vue pour votre histoire. Il existe des effets de mode ou des tendances selon le genre littéraire, mais il s’agit avant tout d’une recherche artistique et d’un choix personnel que fait chaque auteur.

L’essentiel est de connaître ce principe pour faire un choix éclairé dans l’écriture de votre roman !

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  • Judith le 28/02/2022 à 18 h 19 min

    Personnellement, j’écris en point de vue interne/troisième personne du singulier depuis toujours, parce ce que c’est ce qui me vient le plus naturellement (un personnage se pointe un jour dans ma tête et me conte son histoire ou son monde et donc je me retrouve à connaitre juste sa vie et je suis bien incapable d’écrire à la première personne du singulier car sinon au bout de 3 pages le personnage est devenue moi). Mais j’aime beaucoup le principe de suivre plusieurs personnages, comme dans le Trône de Fer (ou dans ton roman d’ailleurs…) parce ce que ça complexifie l’histoire et les relations entre personnage. Je crois que j’essaierais dans mon prochain roman (quand j’aurais fini celui-là, donc pas tout de suite) !
    Mais sinon très bon article, court mais précis !

    • Charlotte le 06/03/2022 à 20 h 56 min

      Merci Judith ! C’est aussi le point de vue et la personne que j’utilise, je n’ai jamais été à l’aise avec la première personne, même si ces derniers temps j’aimerais bien tenter … L’alternance de personnages en point de vue interne/à la troisième personne est vraiment ce que je préfère, comme tu dis ça apporte beaucoup de richesse à l’histoire !

  • Isabelle le 01/03/2022 à 6 h 40 min

    Bonjour.
    Je préfère de mon côté le point de vue interne à la 3ème personne, mais j’utilise aussi la 1ère. Je la trouve plus complexe. Dans ce cas, si par exemple on écrit l’histoire d’un gamin de 10 ans, faut-il écrire comme il parlerait ? Cela limite alors le vocabulaire et fait alors rentrer le récit dans une catégorie littéraire jeune…

    • Charlotte le 06/03/2022 à 21 h 01 min

      Bonjour Isabelle. En point de vue interne, qu’il s’agisse de la première ou de la troisième personne, il faut toujours s’adapter un peu à la personnalité du héros dans le vocabulaire. C’est vrai que c’est complexe quand le personnage est un enfant, d’utiliser un vocabulaire qui lui ressemble tout en écrivant un récit adulte. Si mes souvenirs sont bons, il me semble que Stephen King fait ça très bien dans La petite fille qui aimait Tom Gordon, à lire pour se faire une idée !

  • Abdelhamid le 01/03/2022 à 13 h 26 min

    Merci pour cet article! Brillantissime, comme toujours. Moi je préfère alterner les points de vue, et ce à la première personne. Ça me permet d’exposer l’intrigue de plusieurs manières différentes et sous tous ses aspects, de même que le lecteur pourra s’attacher à plusieurs personnages au lieu d’un seul.

    • Charlotte le 06/03/2022 à 21 h 02 min

      Merci beaucoup ! J’aime aussi beaucoup l’alternance des points de vue, comme dans « Les aventuriers de la mer » que je lis en ce moment.

  • Enirtourenef le 11/03/2022 à 17 h 21 min

    Je choisis toujours l’omniscient avec une focalisation interne sur un tel ou un tel autre en fonction des moments. Je ne réfléchis pas trop ; je crois que c’est ma manie de vouloir tout contrôler ! (Et puis, faut bien dire aussi que c’est plus facile : on se met au-dessus de l’épaule qui nous arrange !)

    • Charlotte le 11/04/2022 à 11 h 13 min

      Oui c’est un point de vue qui a son intérêt !