Écriture

Interview d’autrice : Christelle Dabos

09/01/2023

Photo Christelle Dabos © Chloé Vollmer-Lo / Gallimard

Mi-décembre dernier, j’ai eu le bonheur d’interviewer l’autrice de l’une de mes sagas préférées : Christelle Dabos, à qui l’on doit La Passe-Miroir. Je vous ai déjà parlé de cette saga fantasy en 4 tomes, car je suis une fan inconditionnelle de ses anti-héros et de son univers si singulier, mêlant fantastique et Belle-Époque 🙂

L’interview téléphonique était captivante, Christelle est adorable et son point de vue sur l’écriture passionnant. Je vous ai retranscrit notre échange dans cet article.

Christelle y aborde l’importance de ses inspirations, la part d’inconscient dans son écriture, la musicalité des mots et l’importance du regard extérieur sur ses textes, entre autres !

Elle nous parle aussi de son dernier livre Et l’imagination prend feu, qui nous fait entrer dans les coulisses de son processus créatif, et de Ici et seulement ici, son prochain roman à paraître.

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Peux-tu nous parler de la démarche de ton livre Et l’imagination prend feu ?

L’initiative ne vient pas de moi, ce sont les Éditions Robert qui m’ont contactée. J’ai hésité, car je craignais que l’exercice ait un côté narcissique, mais mon compagnon m’a fait remarquer que je répondais déjà à beaucoup d’interviews. Sauf que les articles finalisés ne retranscrivaient jamais vraiment ce que j’avais voulu dire …

Ce qui m’a fait basculer, c’est quand les Éditions Robert m’ont dit que je pourrai me raconter avec mes propres mots. C’était l’occasion de décider ce que je voulais mettre en avant, notamment mon compagnon, qui est très présent dans mon parcours, et qui passait systématiquement à la trappe dans les articles !

Ce livre est aussi le moyen d’insuffler le ton de mon choix, loin du pathos qui est parfois présent dans les articles journalistiques. La sincérité était au cœur de ma démarche, mais aussi le désir de creuser, de me rapprocher du vrai, en réfléchissant à des pistes différentes des questions habituellement posées par les intervieweurs.

Fais-tu partie des auteurs qui ont toujours besoin d’avoir une histoire en tête ?

Dans ma vie, il y a peu d’époques où je n’ai pas écrit. Et même avant d’écrire, il y a toujours eu des histoires qui se jouaient dans ma tête. Elles prenaient notamment la forme de fanfictions (ce qui est toujours le cas) : quand je découvre une histoire, je recompose le scénario mentalement, je crée des variations autour.

C’est parfois gênant, car je voudrais être plus dans l’instant présent et moins dans la rêverie.

Pour moi, l’objectif de l’écriture est d’apporter un élan inconscient qui rentre dans le champ de conscience.

Christelle Dabos

Tu dis que ton imagination se nourrit de supports variés (films, musiques, images d’archives, dessins animés …). T’est-il déjà arrivé, en te relisant, de déceler telle ou telle inspiration dont tu n’avais pas conscience ?

Pas toute seule, ce sont les autres qui m’en font prendre conscience. Je pense à mon frère, qui a partagé mon enfance et donc mes références. C’est lui qui m’a fait remarquer que La Passe-Miroir était inspirée du Roi et l’oiseau, alors que j’avais complètement oublié ce dessin animé.

Au moment où il l’a dit, j’ai mesuré à quel point c’était vrai : dans La Passe Miroir, on retrouve notamment le questionnement du roi avec « l’autre ». On a parfois l’impression d’avoir une idée originale alors qu’on est dans le sillage de quelqu’un !

La Passe-Miroir s’inspire aussi d’Alice au Pays des merveilles avec les personnages d’Alice et le miroir, du lapin avec sa montre à gousset, du chapelier fou, de la chenille qui fume … Ces personnages emblématiques trouvent un écho dans mes livres, mais ce n’est pas voulu.

J’ai aussi réalisé en revoyant Fullmetal alchemist que ce manga m’a influencée sans que je m’en rende compte.

C’est un processus très inconscient, et il y a encore beaucoup d’angles morts dans La Passe-Miroir. Pour moi, l’objectif de l’écriture est justement d’apporter un élan inconscient qui rentre dans le champ de conscience.

Sur Instagram, une lectrice a publié un post consacré à l’étymologie des noms dans La Passe-Miroir. Tous les noms décryptés font sens, alors que je les ai choisis sans avoir conscience de leurs significations, juste parce qu’ils sonnaient bien à l’oreille.

Par exemple, l’étymologie de Bérénice (qui était le nom original de Berenilde) est « celle qui apporte la victoire ». Quant à Thorn, lors de sa création, je n’avais pas en tête qu’il signifiait « épines » en anglais.

Artemis par J. S Rossbach

Dans ton livre, tu écris : « je m’imprègne de tout ce qui m’entoure, je me laisse traverser par les conversations, les interrogations et les émotions des autres. » De quelle manière ce sens de l’observation nourrit-il ton écriture ?

J’ai tendance à rester dans ma bulle : je me protège de l’actualité et regarde peu les infos. C’est un mécanisme de défense qui me permet d’écrire dans la sérénité. Mais les personnes qui m’entourent, elles, sont touchées par l’actualité. Je regarde par-dessus l’épaule de mon conjoint et de mes amis, je m’en imprègne comme une éponge, et ça ressort dans l’écriture. Là aussi, c’est de manière inconsciente : on m’a déjà dit que La Passe-Miroir était une œuvre politique, mais ce n’est pas une démarche volontaire.

Pour moi, l’écriture est une reconstruction de la réalité, ou du moins une réconciliation. Je m’échappe de la réalité, mais l’écriture m’y ramène sous un nouvel angle. Souvent sous forme de symboles, d’ailleurs. Mes textes sont peu contextualisés dans le monde contemporain. Mais tous les échos de ma réalité ressortent dedans d’une manière ou d’une autre.

L’acte d’observation me sort de l’état de rêverie où je suis souvent. Tourner son regard vers l’extérieur le détourne de ce petit monde intérieur qui rêve. Quand je sors voir des amis, je veux être pleinement avec eux, ce sont des moments de grâce où je sors de mon cocon. Ces moments-là sont très précieux, et en plus ils nourrissent la créativité.

Si je devais être tout le temps dans la rêverie je ne me renouvellerais pas : il faut se nourrir du monde extérieur pour créer.

Il y a une musique propre à chaque personnage : tout le processus de l’écriture est de trouver cette musique.

Christelle Dabos

Tu viens d’une famille de musiciens et tu parles beaucoup de l’influence de la musique dans ton écriture, notamment pour te plonger dans des atmosphères. Qu’est-ce qu’un récit qui sonne juste pour toi, et comment sens-tu que la petite musique de ton texte est bonne ?

Je fais souvent le parallèle entre le clavier de l’ordinateur et celui du piano, notamment quand on écrit sans regarder ses doigts et que le texte s’envole tout seul

Trouver la musique d’un texte est une notion très difficile à mettre en mots. Je retravaille beaucoup chaque phrase, c’est une recherche subtile.

Les textes que j’écris en ce moment ont un côté plus oral et argotique que La Passe-Miroir, et pourtant il y a une musique propre à chaque personnage : tout le processus de l’écriture est de trouver cette musique.

L’exercice consiste aussi à trouver le juste milieu entre « trop » et « trop peu ». Il faut faire attention à la tentation de vouloir trop en dire. Laisser du blanc permet de faire confiance a l’imagination du lecteur, qui va lui-même créer sa propre représentation de la scène.

Ça m’a pris du temps : à mes débuts je ne décrivais jamais, puis je l’ai fait beaucoup trop. Chercher la musique d’un texte, c’est aussi trouver cet équilibre-là.

L’arche de Babel par Camille Ruzé

Dans Et l’imagination prend feu, tu dis que les critiques te permettent de faire sauter tes « dernières œillères ». Tu parles notamment des premiers retours sur tes textes par le forum Plume d’argent, et ensuite de ceux de ton équipe éditoriale. Quels sont les conseils qui ont le plus fait évoluer ton écriture depuis ses débuts ?

Avant La Passe-Miroir, j’avais peu de retours constructifs sur mes textes. J’ai fait lire l’une de mes premières histoires, L’Entremonde, à des amis qui n’ont pas été toujours très emballés, mais sans savoir pourquoi. C’était frustrant de ne pas comprendre en quoi ce texte n’était pas achevé. J’avais engagé une conseillère littéraire qui ne m’a fait que des retours orthographiques : c’est l’un plus mauvais investissements de ma vie !

La communauté Plume d’argent a changé cela. Les gens qui s’y trouvaient étaient eux-mêmes dans un processus d’écriture, ils se posaient des questions sur leurs propres textes.

En lisant l’une des premières versions de La Passe-Miroir, l’une des membres du site m’a fait remarquer qu’on ne savait jamais ce qu’Ophélie pensait et ressentait. Les perceptions de mon héroïne étaient tellement évidentes pour moi que je ne les formulais pas dans le texte, sans m’en rendre compte.

Avec l’expérience, je me pose beaucoup plus de questions sur ce que j’écris, et ça me permet de creuser mes choix. J’ai aussi gagné en autonomie. Au départ, j’avais besoin de faire relire chaque chapitre, maintenant, je peux écrire un roman entier et le soumettre à un regard extérieur une fois qu’il est fini. Mais j’ai toujours vraiment besoin de ce regard critique.

Pour mon nouveau roman Ici et seulement ici, je suis passée par une agente littéraire : Roxane Edouard de Curtis Brown. C’est elle qui m’a fait un premier retour de lecture professionnel. Ça a été une super expérience, elle a mis le doigt partout où il fallait, et elle tapait toujours juste.

Une fois que le regard extérieur pointe ce qui ne va pas, c’est beaucoup plus facile de retravailler son texte.

Tu écris « chaque personnage est un autre moi ». J’ai cru comprendre que tu étais très liée à Ophélie. Est-ce que tu exploites d’autres facettes de ta personnalité dans tes personnages ?

Mes premiers romans utilisaient le point de vue exclusif d’une héroïne qui avait de la matière en commun avec moi … mais dans ce que j’avais de problématique. Ophélie est très maladroite, et je l’ai créée à une époque où je me sentais moi-même gauche, ce que je vivais mal. J’avais l’impression d’être une grande empotée. Au contact d’Ophélie, j’ai fait la paix avec cette problématique.

Dans L’Entremonde, mon héroïne Zeliha se vexe pour un rien, alors que j’étais moi-même très susceptible à l’époque de sa création. Ça m’a fait du bien d’inventer une héroïne affublée de la même caractéristique.

L’Entremonde a d’ailleurs été écrit en Belgique, un pays qui m’a aidé à surpasser ma susceptibilité, car les gens y ont beaucoup d’autodérision. Ils savent rire d’eux-mêmes et des autres. Je m’y sens bien, à tel point que la Belgique s’est inscrite dans L’Entremonde et La Passe-Miroir. On me dit parfois que j’écris de la fantasy française, et je corrige en disant que c’est de la fantasy francobelge !

Parfois, j’écris sans même savoir à quoi mes personnages ressemblent physiquement, pour aller à l’essentiel de ce qu’ils sont.

Christelle Dabos

L’univers de La Passe-Miroir est incroyable. Dans ton livre, tu expliques être à la fois influencée par la musique et l’image. Tu dis notamment t’être inspirée d’endroits réels pour créer tes lieux imaginaires. Comment peut-on travailler sa manière d’écrire pour qu’elle soit multidimensionnelle ?

J’ai longtemps pensé que tout le monde écrivait comme moi, en ayant une représentation très visuelle. Et puis j’ai discuté avec une amie auteure qui m’a révélé être presque « aveugle » mentalement : elle est incapable de visualiser des images. Ça m’a beaucoup étonnée, car ça me paraissait naturel. Ça m’a aussi amenée à réfléchir différemment.

Quand j’écris, je me base sur tous mes sens, je vis chaque scène de l’intérieur, dans la peau du personnage. J’ai beaucoup fait appel au visuel pour La Passe-Miroir, mais je me suis aussi interrogée sur les autres sens : Faisait-il froid ou chaud ? Y avait-il des odeurs, des matières, des sons ? Ça m’aidait à m’ancrer dans la scène pendant que j’incarnais Ophélie.

Je continue ce processus avec mes autres textes. J’essaie de me dégager de la dimension purement visuelle. Parfois, j’écris sans même savoir à quoi mes personnages ressemblent physiquement, pour aller à l’essentiel de ce qu’ils sont.

Dans l’un de mes projets, j’écris à la première personne avec une pluralité de points de vue. Pour l’un des personnages, je fais en sorte que son genre ne soit pas défini, que l’on ne sache pas s’il s’agit d’une femme ou d’un homme, ou de ni l’un ni l’autre, ou des deux à la fois. Je me suis rendu compte que la langue française ne facilite pas cet exercice-là.

Ton amour pour les couvertures de Laurent Gapaillard n’est plus un secret. Ces illustrations ont-elles fait évoluer ta vision de ton histoire ?

J’ai toujours trouvé que les couvertures de Laurent sublimaient mes descriptions de lieux tout en leur restant très fidèles. Ses illustrations leur ont apporté une dimension supplémentaire. Je visualise très bien mes personnages, mais mes lieux sont parfois plus flous. Laurent leur a donné une vision définitive.

J’ai apprécié que les personnages ne soient pas représentés sur les couvertures. Ça laisse toute la place à l’interprétation de Vanyda (qui travaille sur une adaptation en BD de la Passe-Miroir, une pour chaque tome).

Il y a de nombreux fanarts de La Passe-Miroir : illustrations, vidéos et même fanfictions. Certains t’ont-ils particulièrement touchée ? As-tu une anecdote à raconter à ce sujet ?

Je ne lis pas les fanfictions, au départ parce que j’avais peur d’être influencée pendant l’écriture, et maintenant parce que je n’ai pas envie de trop me replonger dans l’univers de La Passe Miroir. Je préfère aller de l’avant et me concentrer sur mes autres projets ! Mais j’aime savoir qu’elles existent, d’autant que j’ai commencé par la fanfiction moi aussi.

Les fanarts : j’adore. Le tout premier que j’ai vu m’avait beaucoup émue, et j’en ai reçu quantité d’autres depuis. J’ai aussi découvert des adaptations étonnantes, comme celle d’une jeune musicienne qui a fait des compositions musicales inspirées de La Passe-Miroir. Chaque morceau est inspiré d’une scène différente. Étant donné que la musique m’influence pour écrire, je considère que la boucle est bouclée.

Ophélie et Thorn par Akaiitodesigns

Te sens-tu proche de tes lecteurs et de ta communauté ?

J’essaie de trouver la juste distance. Je suis très touchée par la communauté qui s’est formée autour de La Passe-Miroir. J’aime ce lien, mais j’essaie de trouver un équilibre et de ne pas me laisser trop absorber par lui. Beaucoup de gens m’envoient des messages et me taguent sur Instagram pour me donner leur avis sur La Passe-Miroir. Ça peut devenir anxiogène. Pour se préserver, il faut mettre une distance.

Pendant le confinement, j’ai mis en place un Discord où l’on pouvait se retrouver une fois par mois pour parler d’écriture et de livres. Mais ça n’a pas bien fonctionné au niveau technique. Je vais donc lancer une chaîne Twitch avec Camille Ruzé (qui fait beaucoup d’illustrations pour moi) afin de donner régulièrement rendez-vous à la communauté.

Peux-tu nous dire quelques mots sur ton nouveau roman Ici et seulement ici, à paraître en avril 2023 chez Gallimard Jeunesse ?

C’est un récit qui parle du collège. Ce roman est l’occasion de revenir sur ces années particulières, qui sont comme un trait d’union où l’on est expulsé de l’enfance, mais sans avoir atteint l’autre rivage. Les règles du jeu changent, de nouveaux mécanismes relationnels se mettent en place. C’est un processus passionnant dans lequel j’avais envie de me plonger.

C’est plus réaliste que La Passe-Miroir, mais il y a aussi une dimension fantastique qui est totalement acceptée par les personnages. Ce récit se rapproche du courant du Réalisme magique, mais sans la dimension sud-américaine (mon roman à moi est décontextualisé, il n’a pas d’attaches géographiques). J’ai découvert ce courant pendant mes études d’Espagnol et ça a été une claque.

Un grand merci à Christelle Dabos pour cette interview !

Si vous voulez en savoir plus sur son processus créatif et son histoire avec l’écriture, retrouvez Et si l’imagination prend feu aux Éditions Robert. De mon côté, je l’ai déjà lu et trouvé passionnant, maintenant, j’attends avec impatience la sortie de son nouveau roman en avril 2023 🙂

À lire aussi : 4 leçons d’écriture tirées de La Passe-Miroir

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  • naisblune le 09/01/2023 à 18 h 50 min

    Hello ! Merci d’avoir partagé cette interview et de l’avoir réalisée. C’est effectivement très intéressant d’en savoir plus sur les auteurs qu’on aime tant lire. Merci.

    • Charlotte le 10/01/2023 à 9 h 06 min

      Hello 🙂
      Oui j’aime beaucoup découvrir le processus créatif des auteurs que j’aime lire !

  • Thierry Cara le 09/01/2023 à 19 h 10 min

    Merci pour cet interview très intéressante !

    • Charlotte le 10/01/2023 à 9 h 07 min

      Bonjour Thierry, merci !

  • Fabienne le 10/01/2023 à 15 h 27 min

    Merci pour cet entretien très intéressant.

    • Charlotte le 27/01/2023 à 17 h 16 min

      Merci pour ton message Fabienne 🙂

  • Liadan le 15/01/2023 à 14 h 28 min

    C’est génial ! C’est la première interview de Christelle Dabos que je vois ! On trouve toujours plein pour les grands noms comme J.K. Rowling ou Stephen King et ça m’a fait incroyablement plaisir d’en découvrir un peu plus sur cette autrice qui a créé l’une de mes sagas littéraires préférées ! ^^

    • Charlotte le 27/01/2023 à 17 h 17 min

      Oh ça me fait plaisir que tu sois contente de découvrir cet interview !