Parmi tous les livres que j’ai lus quand j’étais ado, il y en a un qui m’a particulièrement marquée : Rebecca de Daphné du Maurier. Son ambiance sombre et envoûtante a laissé une trace indélébile dans ma mémoire, comme un parfum capiteux qui persiste dans l’air …
Rebecca, c’est l’histoire d’une jeune femme timide qui épouse Maxime, un riche veuf, et s’installe avec lui à Manderley, sa luxueuse propriété. Très vite, elle déchante en réalisant que le souvenir de Rebecca, l’épouse défunte de son mari, imprègne chaque recoin du manoir. Notre héroïne étouffe et se noie sous le poids de la comparaison avec la merveilleuse Rebecca.
J’ai eu envie de relire ce roman avec mon regard d’adulte, et j’ai de nouveau été captivée ! Cette fois-ci, j’ai réfléchi à ce qui m’avait tant plu dans cette histoire. Et j’ai décidé de la décrypter sous le prisme de l’écriture.
Pour moi, la magie de cette œuvre repose sur les piliers essentiels à toute bonne histoire : les personnages, le cadre et l’intrigue. Dans Rebecca, ces trois points sont traités de manière puissante et originale, tout en étant imbriqués les uns aux autres.
Nous allons voir comment Daphné du Maurier a réussi à les rendre si marquants dans son roman.
1. Les personnages : un duo d’héroïnes antinomiques
Contrairement à ce qu’on pourrait croire, ce n’est pas une héroïne qui porte le récit, mais deux.
La première, qui nous raconte son histoire, est si timide et humble qu’elle ne nous précise même pas comment elle s’appelle. La deuxième possède une aura si imposante qu’elle donne carrément son nom au roman : Rebecca.
Les deux femmes s’opposent en tous points, il y a un effet de contraste permanent entre elles.
La nouvelle femme de Maxime se définit comme terne, commune, maladroite, et elle n’arrive pas à s’imposer. Rebecca, elle, était flamboyante, magnifique et débordait d’assurance …
Ce contraste est un levier intéressant, qui permet de renforcer la caractérisation de chacune.
L’opposition entre les deux femmes nous permet aussi d’entrer en empathie avec l’héroïne, qu’on sent totalement écrasée par la comparaison avec Rebecca. D’autant plus qu’elle est très amoureuse de son mari et souffre profondément de l’impression d’être inférieure à sa précédente épouse.
Cette dualité participe à l’ambiance oppressante du livre. Plus l’aura de Rebecca irradie, plus la narratrice se replie sur elle-même et perd de sa substance. Ainsi, la vivante semble de plus en plus transparente, presque spectrale, tandis que la présence de Rebecca gagne en éclat au fil des pages. Celle-ci étend son emprise comme une plante vénéneuse qui empêche l’héroïne de se développer.
Ce duo est d’autant plus fort et troublant que l’une des deux femmes est morte : comment lutter contre une défunte, au souvenir idéalisé par tous ?
J’aurais pu lutter contre une vivante, non contre une morte.
✍️ Vous aussi, jouez sur le contraste entre vos personnages pour renforcer leur caractérisation. C’est d’autant plus intéressant s’il s’agit du héros et de l’antagoniste. Pour qu’un méchant fonctionne bien, il doit être lié au héros. Ce lien peut être un miroir inversé, ou une opposition radicale entre leurs valeurs, comme si ces personnages étaient les deux faces d’une même pièce.
2. Le cadre : une maison hantée d’un genre particulier
Passons maintenant à ce que j’ai préféré dans ce roman : le manoir fascinant dans lequel se déroule l’histoire.
Manderley est une propriété luxueuse, dont les jardins foisonnants sont bordés par la mer. Ce lieu est si puissant qu’il fonctionne comme un personnage à part entière. On est bien au-delà d’un simple décor : ce cadre s’entremêle à l’intrigue de manière organique.
Manderley n’est pas une sinistre bâtisse dont les portes grincent, et dont les courants d’air font frissonner d’effroi. Et pourtant, la demeure n’en reste pas moins hantée … par le souvenir de Rebecca.
L’aura de la défunte, morte bien avant le début du récit, émane de chaque pièce, de chaque meuble du manoir. Il n’est pas question de fantôme, et pourtant, la présence de Rebecca est partout.
Cela devient obsédant pour l’héroïne, qui ne trouve pas sa place à Manderley. Le manoir ressemble à un organisme vivant symbolisant Rebecca. La nouvelle maîtresse des lieux en est rejetée comme un corps étranger. Elle dépérit entre ces murs, enchanteurs en apparence, mais toxiques pour elle.
Le texte est jalonné de comparaisons et de métaphores qui jouent sur cette personnification de Manderley, et sur son lien avec Rebecca. « Lorsque les feuilles frémissent, leur bruissement s’apparente au froufrou fugace d’une femme en robe du soir. »
D’ailleurs, les premières et dernières phrases du roman parlent de Manderley. Le manoir nous est présenté bien avant l’héroïne, et c’est sur sa vue sur que se termine le récit. Ainsi, le ton est posé, on comprend que l’envoûtante demeure a une place prépondérante dans l’histoire.
J’ai rêvé la nuit dernière que je retournais à Manderley.
Incipit de Rebecca
🏰 Pour l’anecdote, sachez qu’avant de relire Rebecca, je me souvenais encore très bien de la scène finale, lue il y a une vingtaine d’années (alors que j’ai oublié la plupart des romans que j’ai lus à cette époque-là). Quand je vous disais que ce roman m’avait marquée …
✍️ Pour apporter de l’intensité à votre histoire, ne vous contentez pas d’utiliser les lieux comme de simples décors. Donnez-leur une dimension particulière, faites-en le symbole de ce que vivent les personnages, liez-les de manière organique à votre intrigue.
3. L’intrigue : un pur thriller psychologique
Rebecca ne se résume pas à de bons personnages et à un cadre fascinant. Ce roman captive avant tout par son intrigue habilement menée …
Comme dans tout bon thriller psychologique, les apparences sont trompeuses. L’héroïne de l’histoire se laisse berner par elles.
Nous, lecteurs, découvrons l’intrigue par le biais de sa subjectivité, et, avec elle, nous nous fourvoyons … jusqu’à ce qu’un retournement de situation vienne bouleverser l’histoire, qui prend alors une tout autre direction. Le rythme s’accélère et les rebondissements s’enchaînent.
Tout le sel de cette intrigue repose dans la manière dont elle nous fait découvrir les événements sous un autre angle, une fois que l’héroïne enlève ses œillères.
Je me demandais combien il pouvait y avoir de gens dans le monde souffrant et continuant de souffrir parce qu’ils ne parvenaient pas à briser leur filet de timidité et de réserve, et qui dans leur aveugle folie construisaient devant eux un grand mur qui cachait la vérité.
✍️ Jouez avec la subjectivité d’un personnage pour lui faire voir la situation de manière erronée, ainsi qu’à vos lecteurs, par la même occasion. Cela vous permettra d’introduire un retournement de situation pour mieux les surprendre ! C’est un mécanisme qui fonctionne particulièrement bien avec le thriller.
Voilà pour cette analyse de Rebecca orientée écriture !
Bonjour et merci Charlotte,
Je vous lis avec intérêt depuis peu et je trouve vos articles intéressants et utiles. Une bonne journée à vous.
Merci beaucoup, bonne journée à vous !
Un très bon article, qui me donne en outre envie de lire ce roman que je ne connais pas 😃
Merci ! Oui c’est un super roman, je vous conseille de le lire 🙂