Écriture

L’odorat dans l’écriture d’un roman

04/10/2023

Comment utiliser l’odorat pour insuffler de l’émotion à un texte ?

Après mon article sur le thème du goût, voici le deuxième volet de mon dossier autour des 5 sens dans les romans !

On dit que l’odorat est le grand oublié des descriptions littéraires, pourtant, c’est un sens primordial qui fait partie de notre quotidien. Il nous aide à appréhender le monde qui nous entoure, mais c’est aussi un fort vecteur d’émotion et de souvenir.

D’où l’importance de réserver une place de choix à notre nez, quand on écrit un roman.

Dans cet article, on va parler de l’odeur d’un gâteau en train de cuire, de celle du gel hydroalcoolique et des effluves crasseux du Paris de Süskind …

Avec en petit bonus un lexique parfumé (pour mettre le mot juste sur la bonne odeur!)

L’odeur des personnages 🙎‍♂️

Attribuer une odeur à un personnage est un bon moyen de le caractériser.

Déjà parce qu’elle participe à construire son aura, ce qu’il dégage. Une personne aspergée de parfum capiteux ne laissera pas la même impression qu’une autre qui sent le linge propre.

Cette odeur peut aussi en dire beaucoup sur lui, sans qu’il soit nécessaire d’expliquer sa personnalité par A + B (« Show don’t tell »).

Un exemple ? Si votre héros sent fort le gel hydroalcoolique, cela peut traduire un caractère strict et contrôlant (il veut être sûr de ne pas attraper de virus). Mais cela peut aussi vouloir dire qu’il travaille dans un hôpital (et doit donc se désinfecter régulièrement les mains).

Car oui, une odeur peut aussi coller à la peau d’un personnage en fonction de son travail ou activité principale. Cet élément joue un rôle clé dans certains romans policiers, où l’odeur d’un individu met parfois l’enquêteur sur la bonne piste.

📘 Dans le livre que je suis en train de lire (Blackwater tome 4) un jeune homme empeste le goudron à cause de son travail. Cette particularité permet de l’identifier lors d’une enquête pour un hold-up qu’il a commis …

L’empreinte olfactive des lieux 🏠

Pour bien décrire un lieu, c’est toujours mieux de le retranscrire dans toutes ses dimensions. C’est à dire à travers les 5 sens du narrateur, et pas seulement la vue.

Inclure des odeurs dans une description la rend plus immersive et participe à déployer son ambiance. Ainsi, une cuisine qui exhale un doux parfum de gâteau en train de dorer ne provoquera pas le même effet qu’une pièce aux odeurs de graillon et de cuisson rance.

La maison d’une personne (ou son appartement, son bureau, sa voiture …) a souvent un parfum qui lui est propre. Quand on connaît bien quelqu’un, on lui associe cette odeur (plus ou moins consciemment) et elle participe à nous faire nous sentir « chez lui » quand on entre dans sa bulle.

Cela s’applique aussi à l’écriture de roman. Si l’on décrit l’habitation d’un personnage comme un prolongement de lui-même, il est forcément intéressant de lui attribuer une odeur.

C’est le cas de la loge du grand-oncle d’Ophélie (La Passe-Miroir) qui nous est décrite autant grâce à l’ouïe et l’odorat que par la vue :

Ophélie s’imprégna de l’atmosphère particulière qui régnait dans cette loge : les fausses notes du vieil homme ; la clarté naissante du jour filtrant à travers les rideaux ; le froissement des pages tournées avec précaution; l’odeur du café et, un ton en dessous, le parfum de naphtaline d’un bec de gaz.

⚙️ Un logement peut avoir différentes odeurs en fonction des activités et du mode de vie de son propriétaire. Citons par exemple les aliments qu’il aime cuisiner, le tabac, les parfums d’intérieur, les vieux livres, la lessive, les fleurs, les animaux qui y vivent, les produits ménagers qu’il utilise (ou pas), l’éventuelle saleté …

Les pouvoirs de l’odorat 🔮

Moins analytique que la vue, l’odorat est le sens de l’émotion. Ce n’est pas pour rien qu’une odeur est capable de nous rendre nostalgiques, de nous plonger dans une ambiance douillette ou au contraire de nous mettre mal à l’aise.

Avant que l’on puisse comprendre ce qu’elle évoque en nous, une odeur se vit, se ressent. Raison de plus de ce servir de ce sens si l’on veut rajouter de l’émotion à un texte.

Le roman Le cirque des rêves met en scène des chapiteaux abritant des expériences poétiques et oniriques. Sous l’un d’entre eux, un personnage découvre une série de bouteilles en verre, contenant chacune un bouquet olfactif qui raconte une histoire. L’une d’entre elles le transporte immédiatement dans l’émerveillement de Noël.

Il sent une odeur de flambée de cheminée, avec un soupçon de neige et de marrons grillés. Pris de curiosité, il aspire à pleins poumons. Il distingue un arôme de vin chaud, de bonbons, de pastilles de menthe et de pipe. La senteur fraîche d’un sapin. De la cire de bougie en train de fondre. Il sent presque la neige, la fébrilité, l’impatience, la saveur douce d’un sucre d’orge. C’est étourdissant, merveilleux, troublant.

Cet exemple nous montre que les odeurs peuvent faire jaillir des réminiscences du passé. Certaines fragrances font remonter des souvenirs enfouis profondément dans notre mémoire. Chez certains, le parfum de la pâte à modeler évoque automatiquement l’enfance. Pour d’autres, ce sera l’odeur des protège-cahiers, ou encore celle de la confiture qui cuit à petit feu dans une bassine en cuivre …

Encore une fois, cela peut donner des informations sur le personnage et notamment sur son passé.

💡 Pourquoi ne pas utiliser ce super pouvoir de l’odorat pour introduire un flash-back dans votre roman ? Une odeur qui rappelle un souvenir est l’occasion parfaite pour revenir sur le passé d’un personnage.

Le Parfum de Süskind : voir le monde par le nez 👃

Je ne peux pas finir cet article sur l’odorat sans vous parler du Parfum de Süskind. Et pour cause : ce roman est une ode au monde des odeurs, dont il est la parfaite expression littéraire.

C’est l’histoire de Jean-Baptiste Grenouille, personnage exécrable qui a la double particularité d’être né sans odeur et de se trouver doté d’un odorat extraordinaire. Il n’a pas besoin de voir ni d’entre : il ne voit la vie qu’à travers son nez surdéveloppé.

Nous suivons son périple olfactif du Paris crasseux du XVIIIe siècle jusqu’à Grasse et ses fabriques du parfum. Avec Grenouille, nous découvrons les fragrances les plus exquises comme les plus nauséabondes, ainsi que les horreurs dont il est capable pour vivre sa passion des odeurs.

Il soupçonnait que ce n’était pas lui qui suivait le parfum, mais que c’était le parfum qui l’avait fait captif et l’attirait à présent vers lui, irrésistiblement.

C’est un livre assez dur, mais qui a été une vraie claque pour moi. Süskind réussit le tour de force de nous faire voir le monde par le nez. Cela donne lieu à une esthétique nouvelle et singulière. Cette lecture est une expérience sensorielle inédite (à déconseiller aux âmes sensibles).

Le lexique des parfums 📜

Ambré
Animal
Aromatique
Boisé
Capiteux
Camphré
Chimique
Délicat
Entêtant
Épicé
Exotique
Fauve
Fétide
Floral
Frais
Fruité
Hespéridé
Iodé
Malodorant
Méphitique
Métallique
Musqué
Nauséabond
Odoriférant
Oriental
Pestilentiel
Piquant
Poussiéreux
Printanier
Puant
Putride
Rance
Rémanent
Résineux
Suave
Sucré
Tenace
Terreux

À lire aussi : La nourriture dans les romans

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  • Patricia le 05/10/2023 à 11 h 44 min

    Très bon article qui donne un plus dans un roman.
    Merci
    Patricia

    • Charlotte le 06/10/2023 à 9 h 45 min

      Merci beaucoup Patricia !

  • Oriane p le 05/10/2023 à 19 h 14 min

    Merci pour cet article! J’adore comme toujours.. c’est drôle car j’ai récemment changé de shampooing et son ouverture m’a ramenée directement 15 ans en arrière en Australie! Je pense que j’avais dû utiliser là bas un shampooing avec une odeur similaire. Limite je n’ose plus trop ouvrir le flacon de peur que l’effet ne cesse!

    • Charlotte le 06/10/2023 à 9 h 47 min

      Merci Oriane ! Ah oui je connais bien cette impression, c’est fou comme certaines odeurs de cosmétiques ont le pouvoir de nous faire revenir en arrière en un instant et sans prévenir.

  • Louise L.M le 06/10/2023 à 13 h 25 min

    J’ai presque l’impression de sentir les odeurs en lisant les mots associés! Dans mon roman de dystopie, les odeurs ont une place importante car l’héroïne, au lieu d’être ramenée en enfance par les effluves de sa ville, en est dégoûtée. Je place donc dans les descriptions certaines odeurs comme celle de la confiture par exemple: douceâtre au lieu de sucrée. Pour la cheminée: étouffante au lieu de boisée.
    C’est drôle comme les écrivains peuvent jouer sur la perception du personnage pour faire ressentir des choses au lecteur, positive ou négative alors que c’est la même odeur.

    • Charlotte le 02/11/2023 à 10 h 46 min

      Merci Louise, tes exemples sont intéressants ! C’est vrai qu’il est tout aussi efficace de donner une connotation péjorative à certaines odeurs (considérées habituellement comme agréables) pour amener des souvenirs difficiles.

  • Greg le 07/10/2023 à 15 h 39 min

    Bonjour. Je vous remercie pour ce nouvel article intéressant. Pour l’écriture de mon premier roman, je prends un soin particulier aux odeurs que je souhaite décrire dans les lieux visités par mon personnage. Je fais aussi de même avec les personnages qu’il côtoie, certains d’entre eux imprègnent des odeurs particulières. Par exemple : Le personnage principal sent une odeur de nicotine dès qu’il croise la route d’un personnage secondaire. Le lecteur devinera avec aisance qu’il fume, sans que je n’aie besoin de le préciser. Les odeurs sont tellement puissantes dans les romans. J’adore ! Je tiens aussi à vous remercier pour le lexique des parfums.

    Je vous souhaite une agréable journée.

    Greg

    • Charlotte le 02/11/2023 à 10 h 47 min

      Merci à vous ! C’est vrai qu’une odeur peut en dire long sur le mode de vie ou les habitudes d’un personnage 🙂