Aujourd’hui, je vous propose une nouvelle thématique : de temps en temps, je vais analyser pour vous des personnages de romans particulièrement réussis pour en tirer des leçons d’écriture.
J’aime les méchants bien construits, c’est donc avec l’un d’entre eux que je vais commencer : Cersei Lannister.
À la fois crainte, haïe et admirée, l’emblématique reine du Trône de Fer a beaucoup de choses à nous apprendre. Et notamment comment créer un antagoniste crédible, profond et complexe qui ne laissera pas vos lecteurs de marbre …
Alors, êtes-vous prêt à découvrir l’envers du jeu des trônes ?
Une lionne à la fois maternelle et destructrice
À bien des égards, Cersei est un personnage monstrueux. La reine Lannister ne fait jamais preuve de compassion ni d’altruisme, elle méprise les faibles et utilise la terreur pour régner. Elle est convaincue de sa suprématie et n’hésite pas à écraser les autres pour obtenir ce qu’elle veut. Il n’y a qu’à voir la manière dont elle punit son peuple ou élimine ses ennemis !
Un lion ne se soucie nullement de l’opinion des moutons.
Cersei Lannister
Pourtant, Cersei a aussi une facette humaine : c’est une mère protectrice avec son clan, qui sait se montrer aimante avec ses enfants et son frère. Comme une lionne (animal qui symbolise d’ailleurs sa famille) elle veille férocement à la sécurité des siens.
Ainsi, Cersei est à la fois maternelle et destructrice, protectrice et meurtrière. Il y a en elle une ambivalence fondatrice de son personnage, et c’est ce qui la rend complexe et intéressante.
Sans oublier que Cersei est une femme forte, qui a de la poigne, de la prestance et une certaine intelligence. Elle suscite l’admiration autant que la haine !
✍️ Dans l’écriture de votre roman, évitez le cliché du méchant qui n’a que des défauts. Pour créer un antagoniste avec de l’envergure, attribuez-lui aussi de grandes qualités. Et n’oubliez pas l’adage que « avoir les défauts de ses qualités » fonctionne d’autant plus avec les méchants. Si un antagoniste a un défaut, il est toujours intéressant de lui attribuer la qualité associée (par exemple, Cersei a de la prestance mais elle est orgueilleuse, elle est intelligence mais calculatrice, etc).
À lire aussi : Les conseils d’écriture de George R.R. Martin
Une méchante née du dépit et de la souffrance
L’une des clés pour créer un méchant profond, c’est d’expliquer comment il est passé du côté obscur de la force. Cela ne veut pas dire que l’on excuse l’atrocité de ses actes, mais cela permet au moins de comprendre son cheminement mental … pour que l’antagoniste reste crédible aux yeux du lecteur.
La saga de George R.R. Martin nous permet justement de découvrir l’origine des failles de Cersei.
Certes, c’est une femme cynique qui méprise son mari Robert Baratheon. Cela dit, on comprend pourquoi en découvrant son passé. Cersei était amoureuse de lui lors de leur mariage, mais elle a vite déchanté : Robert était infidèle et ne s’intéressait pas le moins du monde à elle, n’ayant jamais pu se remettre de la mort de son amour de jeunesse, Lyanna Stark. Dès lors, on comprend que le mépris de Cersei est en fait du dépit, qui provient d’une profonde blessure.
Autre exemple : Cersei hait son frère Tyrion, elle est odieuse avec lui et cherche même à le faire exécuter. Or, au fil de la saga, on découvre qu’elle lui voue cette haine parce que leur mère est morte en donnant naissance à Tyrion. Ce n’est bien sûr pas une excuse, mais cela apporte un début d’explication à la haine viscérale de Cersei.
Voilà ce qui fait la force d’un méchant bien construit : son passé est fondateur de sa personne, et on peut percevoir les rouages de son fonctionnement, même si l’on n’adhère pas à la direction qu’il a choisi de prendre.
✍️ Travaillez la psychologie de votre antagoniste en amont de l’écriture de votre roman. Vous pouvez notamment remplir une fiche personnage pour l’approfondir. Quels sont les événements marquants de son passé, les épreuves, les traumatismes qui ont forgé ce qu’il est devenu ? On peut révéler ce passé une fois que le récit est bien entamé, pour créer un rebondissement et apporter un nouveau regard sur le méchant.
Un monstre créé par un environnement dur
Cersei Lannister est une femme agressive et manipulatrice … mais il faut avouer qu’elle vit dans un monde très dur, où faire preuve d’intégrité et d’honnêteté peut mettre en grand danger.
Il n’y a qu’à voir le triste destin de Ned Stark, qui incarne justement la droiture morale. Ned a toujours refusé de comploter et finit par être exécuter pour cela. Il en va de même pour son fils Robb … Quant à ses filles Arya et Sansa, elles sont obligées de s’adapter et de moduler leur attitude pour survivre.
Quand on joue au jeu des trônes, soit on gagne, soit on meurt.
Cersei Lannister
À Port-Réal, on tue ou on est tué. Cersei en a bien conscience, et va au-delà de la simple méfiance : elle développe une forme de paranoïa qui la pousse à voir le mal absolument partout. Ce personnage vit dans un sentiment de danger permanent, et les autres (ceux qui ne font pas partie de son clan) lui apparaissent tous comme des ennemis. Au moindre doute, elle écrase ceux qui présentent une menace potentielle.
Ainsi, la méchanceté de Cersei ne sort pas de nulle part : elle s’explique par son sentiment de persécution, lui-même dû au monde dans lequel elle évolue. En somme, la reine Lannister est un monstre engendré par son environnement.
✍️ Si vous écrivez un roman qui se passe dans un monde fantastique, travaillez bien ses fondations pour qu’elles soient riches et cohérentes. Vous pourrez ainsi créer des personnages dont le tempérament sera façonné par cet environnement, ou évoluera en parallèle (ou en opposition) avec la logique de ce monde.
Une reine solitaire dans un monde d’hommes
Non seulement l’univers de Port-Réal est dangereux, mais il est aussi dégradant pour les femmes. C’est un monde machiste et patriarcal, où les filles sont réduites à l’état d’objet. Elles sont utilisées pour faire des alliances par le mariage et pour donner des héritiers en procréant.
Mais cela ne convient pas à Cersei, qui est trop fière et intelligente pour accepter de passer au second plan derrière un homme. Aussi, après l’affront permanent qu’a représenté son mariage avec Robert, elle reprend le contrôle de sa vie grâce au seul moyen en sa possession : la violence. Cersei fera assassiner Robert, et utilisera la régence pour gouverner le royaume, à la place de ses fils.
Cersei est ambitieuse, elle a une soif inextinguible de pouvoir et est obsédée par la terreur de se faire voler sa place de reine. Elle semble même prisonnière de sa propre ambition et des enjeux familiaux qu’elle implique. Contrairement à Jaime, Cersei évolue peu au fil des romans de George R.R. Martin. Sa position géographique en est le symbole : triste et solitaire, elle ne bouge quasiment pas de Port-Réal, comme figée sur son sinistre trône, coincée dans ce rôle qu’elle a durement gagné et qu’elle a si peur de perdre.
✍️ Même si le personnage que vous créez commet des actes atroces, il est toujours intéressant de lui attribuer des failles qui feront entrer le lecteur en empathie avec lui. Ainsi, il ne s’agit pas seulement d’un méchant que l’on hait, mais d’un personnage complexe qui provoque en nous des sentiments opposés.
Femme bafouée, à la fois maternelle et destructrice, personnage en souffrance … Tous ces éléments font que, même si on déteste Cersei pour ses actes, on peut comprendre l’origine de ses réactions, et on sait qu’elle reste humaine sous ses apparences de monstre.
La scène la plus emblématique des sentiments contradictoires que nous inspire Cersei est la marche de la honte, qui est probablement aussi l’un des passages les plus intenses du Trône de Fer. Elle y est soumise à l’humiliation suprême : elle doit traverser la ville complètement nue, sous les insultes de la population.
On pourrait se réjouir de voir ce personnage détestable ainsi dégradé. Pourtant, j’ai trouvé cette scène très éprouvante à lire. On sent la détresse de Cersei, et l’on est d’autant plus mal à l’aise que c’est un personnage dur et fier, qui finit par s’effondrer malgré tous ses efforts pour garder la tête haute … Cersei descend alors brusquement de son piédestal d’or et d’orgueil pour côtoyer la crasse et la honte.
La reine se débarrassa de sa robe. Elle se dénuda d’un mouvement souple et posé, comme si elle se trouvait dans ses propres appartements, en train de se dévêtir pour prendre son bain sans personne d’autre que ses caméristes pour la voir. Quand le vent froid toucha sa peau, elle eut un violent frisson. Il fallut toute sa force de caractère pour ne pas tenter de se cacher avec les mains, comme la catin de son grand-père l’avait fait. Ses doigts se serrèrent en poings, ses ongles s’enfonçant dans ses paumes …
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Comme tu l’as dit : la marche de la honte est LE moment qui a fait basculer ma vision de Cersei (en tout cas, en tant que spectatrice de la série – je n’ai pas encore osé m’aventurer dans la ribambelle de romans…) parce qu’on ne peut pas rester stoïque devant cette scène : pour la première fois, on peut s’identifier à Cersei en se disant, qu’à sa place, on se serait aussi sentie détruite et souillée. Alors qu’auparavant, il était difficile de se projeter dans ce personnage cruel. Je trouve que c’est un pari intéressant mais difficile, de toucher les spectateurs/lecteurs par le biais d’un antagoniste sans tomber dans le cliché mais là c’était bien fait !
Tu as trouvé que la série avait bien retranscrit ce passage des romans ?
Oui j’ai trouvé ce passage très bien retranscrit dans la série ! Plus généralement, les acteurs sont vraiment bien choisis, ils apportent tous quelque chose aux personnages de George RR Martin (notamment l’actrice de Cersei qui est magistrale !)
J’adore Cersei !!!!!! (Et tous les gens que je connais qui ont lu/vu le Trône de Fer, me trouve folle à cause de ça…) Mais je n’aime pas Cersei pour ce qu’elle fait, je l’aime parce ce que tout ce qu’elle fait est logique, que son personnage est (pour moi) le mieux construit de la série… et bon un peu aussi j’avoue parce ce que j’admire quand même pas mal son intelligence et sa force ! (Mais je n’en suis qu’au tome 4 donc je n’ai pas encore finis, à voir comment ma vision des personnages va évoluer)
Par contre, j’aime beaucoup le concept de décortiquer des personnages et j’ai hâte de voir d’autres articles du même type !
Moi je connais plusieurs personnes qui, comme toi, aiment le personnage de Cersei ! Merci, c’est un concept qui me plait bien aussi, hâte de faire un nouvel article sur ce thème 🙂
Un article très intéressant. Je trouve qu’il est plus facile de créer ce genre de personnages dans un monde fantastique que dans un roman de littérature blanche.
Merci beaucoup. Ta réflexion est intéressante et très juste !