J’ai commencé à lire L’anatomie du scénario de John Truby, qui se révèle être un gros pavé passionnant ! Ces derniers jours, je suis tombée sur un chapitre particulièrement édifiant, et dont j’ai envie de vous parler. Ce passage évoque les archétypes des personnages dans le récit.
Selon Truby « les archétypes sont des modèles psychologiques fondamentaux de la personnalité ; ce sont les rôles qu’une personne peut jouer en société, les façons essentielles d’interagir avec les autres. »
Ce qui est captivant, c’est que Truby expose le versant positif comme les dérives négatives de chacun de ces archétypes. Cela montre qu’il n’y a pas de manichéisme : tout est dans la subtilité. Et, même si un personnage tend plus vers le bon ou le mauvais, il y a toujours des nuances qui peuvent le complexifier.
La théorie de Truby m’a tout de suite fait penser au Trône de Fer 👑 tant l’œuvre de George RR Martin semble construite sur ces archétypes. Et ceux qui savent combien j’aime les personnages de cette saga comprennent à quel point cela peut être un outil puissant !
L’exemple du Trône de Fer nous montre qu’on peut utiliser les archétypes de manière infinie pour créer une galerie de personnages variés et profonds, qu’ils soient protagonistes ou antagonistes.
Dans cet article, j’ai donc décidé de vous présenter les archétypes de John Truby, illustrés par les personnages du Trône de Fer correspondant (selon moi).
Le roi ou le père
C’est la figure paternelle type, qui protège et gouverne avec sagesse et fermeté. La dérive possible, c’est l’archétype du père autoritaire, voire carrément despotique, ou bien de l’homme de pouvoir qui écrase ses propres émotions pour régner efficacement.
Exemples : Ned Stark, Tywin Lannister
🔎 L’archétype du père se retrouve chez plusieurs personnages du Trône de Fer. Ned Stark en est un bel exemple. À la fois père de famille nombreuse et seigneur du Nord, Ned se consacre corps et âme à son rôle de protecteur. Il fait toujours passer son devoir avant son bien-être personnel. Son sens exacerbé de l’honneur le pousse à ignorer ses désirs pour rejoindre la capitale, dont il déteste profondément les rouages … Mis au pied du mur par Cersei, il devra choisir entre sa droiture et ses enfants. Ce dilemme psychologique sera une vraie torture pour lui (on le sait, George RR Martin est un auteur sadique😋).
La reine ou la mère
Aimante et enveloppante, elle fait tout pour protéger ses enfants et son peuple. Dans son versant négatif, cet archétype a un tel besoin de contrôle sur sa progéniture qu’il en devient tyrannique, et manipule ses enfants pour garder la main sur leur vie.
Exemples : Catelyn Stark, Cersei Lannister
🔎 Cersei représente l’archétype de la maternité toxique. Paranoïaque et agressive, elle se comporte comme une lionne prête à mordre ceux qui s’approchent de ses enfants. Mais c’est aussi ses rejetons qu’elle manipule sans vergogne. Cersei veut garder le contrôle sur tout, quoi qu’il en coûte. Il ne s’agit plus du cocon d’une mère aimante, mais de la toile d’araignée d’une mère envahissante.
Le rebelle
C’est le personnage disruptif, celui qui sort du rang et passe à l’action pour lutter contre l’oppression. S’il dérive du côté obscur, il en vient à tout détruire pour atteindre le système.
Exemples : Arya Stark, Daenerys Targaryen
Le vieillard sage, le mentor ou le professeur
Cet archétype veille à transmettre sa sagesse et son savoir pour permettre aux jeunes d’évoluer. C’est la figure du grand sage, de celui qui sait, et à qui l’âge vénérable offre un regard apaisé sur la vie. Dans sa version obscure, il utilise son aura pour que ses disciples adoptent ses idées.
Exemples : Mestre Aemon, Le Grand Moineau
Le guerrier
C’est la figure du champion qui se bat physiquement pour défendre ses valeurs. La dérive possible de cet archétype est le combattant qui ne respecte que la force, et qui pense que les faibles méritent d’être écrasés.
Exemples : Brienne de Torth, Gregor Clegane
🔎 Brienne incarne l’archétype du guerrier dans ce qu’il a de plus noble. Dotée d’une droiture sans faille, elle symbolise les valeurs chevaleresques. Elle est hermétique à la corruption, si courante dans l’univers du Trône de Fer. Brienne utilise sa grande force physique pour se battre et faire respecter ses valeurs. C’est d’ailleurs en la rencontrant et en l’admirant que Jaime Lannister finira par devenir meilleur : elle réveillera ses vieux idéaux de bravoure et de noblesse d’âme.
L’artiste ou le clown
Esthète, il a du goût et une vision singulière du monde. Dans son côté négatif, c’est l’archétype du personnage qui critique tout ou qui tyrannise les autres pour atteindre sa vision de la beauté.
Exemple : Tyrion Lannister – Avez-vous un exemple à citer pour le versant négatif de cet archétype ?
Le magicien ou le shaman
Ce personnage a accès à des forces invisibles, qu’il peut parfois contrôler. Du côté négatif du spectre, cet archétype se sert de ses pouvoirs surnaturels pour asservir et détruire.
Exemples : Jaqen H’ghar, Mélisandre
🔎 En tant que prêtresse du feu, les capacités de Mélisandre lui permettent de voir des choses que les autres ignorent. Cela lui donne une certaine vision de l’avenir, qui la pousse à agir mystérieusement pour préserver la bonne marche du monde. Certes, elle fait le mal (en encourageant des guerres et en brûlant des innocents sur le bûcher) mais seulement parce qu’elle se sent investie d’une mission pour le Bien. Là où le bât blesse, c’est qu’elle peut se tromper en interprétant les signes qu’elle lit dans le feu … et donc sacrifier ses victimes en vain. C’est un bon exemple d’antagoniste cohérent.
L’amoureux
Dévoué à l’objet de ses sentiments, il fait tout pour l’aider à s’épanouir. Côté obscur, il s’oublie dans son ombre et ne parvient pas à exister par lui-même. Ou l’inverse : il écrase l’être aimé.
Exemples : Jorah Mormont, Loras Tyrell.
Le rusé
C’est la figure du petit malin, qui utilise son art de la persuasion pour orienter le cours des choses. Sa dérive négative, c’est le personnage égoïste qui ment comme il respire pour arriver à ses fins.
Exemples : Lord Varys, Petyr Baelish
🔎 Ces deux personnages montrent bien que la différence entre le côté positif de l’archétype et son côté négatif réside dans le pourquoi ils manipulent. Surnommé L’araignée pour sa capacité à tisser sa toile, Lord Varys œuvre pour préserver l’intérêt du peuple et du royaume. Au contraire, Littlefinger complote pour garantir sa propre évolution sociale. Leurs motivations profondes font toute la différence. Comme quoi, définir ce qui pousse secrètement un personnage à agir est aussi important que d’exposer ses actes. Notons que ces deux personnages sont très mystérieux jusqu’à ce qu’on découvre leurs motivations.
Bien sûr, un personnage peut combiner plusieurs archétypes !
L’un des intérêts de la classification de Truby, c’est qu’elle permet de construire les personnages en réseau, afin qu’ils soient tous connectés les uns aux autres.
⚠️ Il va de soi qu’un archétype n’est qu’un squelette, autour duquel il faut construire un personnage au caractère unique (ces exemples le prouvent bien). Terminons cet article sur ces mots de Truby : « Une fois les oppositions entre vos personnages essentiels définies dans le réseau de personnages, vous devez transformer les archétypes en de véritables individus ».
Je trouve dommage que tu n’approfondisse pas plus l’artiste/clown. Si je ne connais le personnage de Tyrion Lanister (ce que je ne connais vraiment pas), je comprends pas ce qu’est cet archétype. Tu pourrais m’éclairer ?
Pour l’exemple de l’artiste mauvais, on peut peut-être penser à un certain type d’assassin dans les romans policiers ou thrillers, qui voient les crimes comme une œuvre d’art. Le coupable de Ils étaient dix, ou celui de la série Polar Park par exemple ! Sinon, plus généralement, beaucoup de méchant s’extasient devant la « beauté » du chaos/de la puissance/de la destruction, celui du Château dans le ciel devant le pouvoir de destruction de la technologie de Laputa par exemple, mais je ne sais pas si ça rentre vraiment dans l’archétype de l’artiste. Et un dernier exemple pour la route : Merteuil et Valmont des Liaisons dangereuses, cruels juste pour l' »art » de l séduction et du libertinage.
Bonjour 🙂
Merci pour tous ces exemples ! Ta mention du « méchant » de thriller me fait penser au Joker dans Batman, qui semble agir par amour du chaos. Sinon j’aime beaucoup ton idée de Merteuil et Valmont, c’est très juste.
Merci pour ce décorticage, je prends note.