Il y a un petit moment déjà (le temps passe vite !) j’ai publié sur le blog un article sur le goût, un autre sur l’odorat, et encore un sur l’ouïe dans l’écriture de nos romans. Je complète aujourd’hui cette série sur les cinq sens & l’écriture avec un article sur le toucher.
Ce n’est pas le sens le plus évident à aborder dans le domaine de la littérature, et pourtant, quand on s’y penche, c’est un thème riche !
Si la vue et l’ouïe sont plus souvent utilisées dans les scènes, le toucher est tout aussi évocateur. Il joue un rôle essentiel dans la construction des mondes, des ambiances et des émotions. Ce sens est intimement lié à notre rapport au corps, à l’espace et à l’autre. C’est donc une ressource puissante dans l’écriture romanesque.
Explorons ensemble comment il peut enrichir la narration et inviter le lecteur à une expérience sensorielle complète …
Le toucher : un sens charnel et immédiat
Le toucher est le premier sens que nous développons, in utero. Il est associé à la chaleur, à la protection, au contact avec l’autre. C’est le sens le plus instinctif. C’est par lui que le nouveau-né découvre le monde. Avant de savoir parler ou voir clairement, il explore en serrant un doigt, en sentant la chaleur d’un corps. Ce sens est donc profondément inscrit dans notre mémoire corporelle.
Dans l’écriture romanesque, utiliser le toucher, c’est convoquer cette mémoire. C’est revenir à l’essentiel, au lien entre corps et monde. Contrairement à la vue, qui observe à distance, le toucher implique une proximité, une interaction. Il oblige le corps à être présent.
Cela donne une dimension sensorielle très forte à l’écriture. Le lecteur ne fait pas que « voir » une scène : il la ressent physiquement. Une main posée sur une peau, un talon sur des gravillons, un souffle tiède sur la nuque… ces détails tactiles rendent les scènes tangibles.
Le toucher crée une connexion directe entre personnage et environnement, entre lecteur et texte. C’est un sens du présent et de l’intimité.
Elle embrassa ses cicatrices, d’abord celle qui lui fendait le sourcil, ensuite celle qui lui crevait la joue, enfin celle qui lui traversait la tempe (…). Le monde cessa aussitôt d’être mot pour se faire peau.
La mémoire de Babel, Christelle Dabos
Créer une ambiance à travers les matières
Une pièce décrite par les objets qu’elle contient prend vie quand on y ajoute leur texture : le cuir craquelé d’un fauteuil, le velours poussiéreux d’un rideau, la rugosité du parquet sous des pieds nus. Ces détails ne sont pas anodins. Ils ancrent le lecteur dans le lieu, plus profondément que de simples couleurs ou formes.
Le toucher est un sens très intéressant pour déployer une ambiance, car il nous parle intuitivement. Ainsi, les murs suintants d’une cave pourront renforcer une ambiance oppressante, tandis que la nappe plastifiée d’une cuisine modeste participera à la caractérisation du lieu et de ses habitants.
Ce sont ces détails qui créent une atmosphère, qui disent sans dire clairement.
Prenons l’exemple d’un lieu abandonné. Plutôt que de dire « la maison était vieille et vide », on peut décrire ce que le personnage touche :
« Ses doigts effleurèrent la rampe d’escalier : le bois était poisseux, collant d’humidité. Sous ses pas, le linoléum se décollait, grinçait comme s’il protestait. »
En deux phrases, le toucher fait ressentir la décrépitude et le malaise.
Décrivez donc les lieux en partie à travers ce que les personnages touchent, manipulent, ressentent sous leurs mains ou leurs pieds. Cela rendra l’univers plus vivant et plus incarné.
Roberta compta jusqu’à dix. À dix et demi un rayon orangé se posa sur son visage. Elle se laissa envahir par la chaleur, la dégustant comme un coulis de mandarine tiède.
Le Quadrille des Assassins, Hervé Jubert
💡 Notons que cette citation présente une synesthésie (alliance de plusieurs sens différents, ici le toucher et le goût). C’est ma figure de style préférée !
Le corps, un territoire sensoriel
Le toucher est aussi le sens du corps, et donc de l’intimité, voire de l’érotisme. Dans les scènes de rapprochement entre personnages, il est fondamental. Mais plus encore, il permet de raconter un personnage de l’intérieur, via ses sensations corporelles : une sueur froide, des picotements de stress, la morsure du froid ou la brûlure d’un souvenir.
Le corps humain est un terrain de sensations infinies. Dans un roman, explorer le corps par le toucher, c’est ouvrir une porte sur le ressenti profond du personnage.
Le toucher peut alors nous parler de sa fatigue (la lourdeur des membres, les paupières qui brûlent), de sa peur (la sueur froide, la peau qui picote), de son désir (la chaleur, les frissons). Il est l’écho de son monde intérieur.
Dans les scènes de tension ou d’émotion forte, il permet d’éviter une explication psychologique moins impactante. Pas besoin de dire « il était angoissé » si on peut écrire :
« Ses doigts tremblaient en serrant la clé. Le métal froid lui échappa des mains et rebondit sur le sol dans un bruit sec. »
Ici, le toucher devient une traduction sensorielle de l’émotion. Il permet au lecteur de comprendre ce que le personnage vit sans l’intellectualiser. Le toucher donne ainsi au corps une voix propre, qui enrichit le récit.
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Et bien sûr, le toucher est le sens du contact avec autrui. Une caresse, une gifle, une étreinte, un frôlement involontaire : chaque interaction physique a une portée émotionnelle. Elle dit la distance ou la proximité, la tendresse ou la violence.
Mon pouls s’emballe, mes joues s’échauffent. Sur un coup de tête, je sors une flèche de mon carquois et la décoche vers la table des juges.
Hunger Games, Suzanne Collins
Le toucher comme outil métaphorique
Le toucher ne se résume pas au contact physique. Il évoque aussi ce qui est intangible : la douceur d’un regard, la froideur d’un silence, la chaleur d’un souvenir … Il devient alors métaphorique, un outil poétique au service de nos romans !
On pourrait dire : « Ses paroles étaient râpeuses comme du sable sur une plaie encore vive. »
Le toucher devient ainsi un outil de transposition sensorielle : on donne une texture à une émotion. Cela permet de matérialiser l’abstrait, d’en faire quelque chose de palpable. De cette manière, l’émotion devient plus incarnée pour le lecteur.
Il doit rester quelques rêves d’enfant cachés sous mon oreiller, je tenterais de ne pas les écraser avec ma tête lourde de soucis d’adulte.
La mécanique du Cœur, Mathias Malzieu
Conseils d’écriture : intégrer le toucher dans vos scènes
Voici quelques pistes pour faire entrer ce sens dans vos textes :
- Lors de chaque nouvelle scène, demandez-vous : qu’est-ce que le personnage ressent physiquement ?
- Jouez sur les contrastes : chaud/froid, doux/rugueux, sec/humide …
- Associez les sensations tactiles à des émotions : l’agacement peut être figuré par un tissu qui gratte, la peur par un vêtement étouffant, etc.
- Pensez au toucher intérieur : crampes, frissons, picotements… Ces micro-sensations disent beaucoup de l’état émotionnel d’un personnage.
- Variez les 5 sens : ne vous contentez pas du toucher pour rester en trois dimensions.
Pour résumer, je dirais que le toucher ne devrait pas être un simple ajout décoratif. C’est un vecteur d’émotion, de vérité et d’immersion. Il rend les scènes plus viscérales et palpables.
Bonne semaine à vous !
Des articles vraiment intéressants et productifs !
Merci Charlotte
Merci beaucoup 😊
Merci beaucoup pour cet article . On comprend mieux ce que peux apporter l’utilisation de ce sens. Avec les références que vous donnez c’est encore plus clair.
Merci Priscillia !
merci CHARLOTTE oui vraiment des pistes à exploiter, tout ce qui permet d’exprimer des émotions de manières variées est une bonne chose
Merci beaucoup Joël, en effet l’émotion est la clé d’un roman qui marque.
Cela faisait longtemps que je n’étais pas passée par ici. Merci pour ces articles toujours intéressants … et merci de citer la Mécanique du Coeur !! J’adore l’écriture de Matthias Malzieu : le début de Maintenant qu’il fait tout le temps nuit sur toi m’avait tellement émue que j’avais été obligée de faire une pause au bout de 2 pages pour m’en remettre u_u »
Bonjour Agathe, oui l’écriture de Mathias Malzieu est un vrai trésor de poésie et d’émotion ☺️
Merci pour ces articles passionnants 🙂
Cela m’aide beaucoup pour écrire, je compte en faire mon métier plus tard !
Merci pour ton message, et bonne écriture à toi 🙂
Merci beaucoup pour ce nouvel article, Charlotte.
J’essaie toujours d’intégrer le sens du toucher dans mes romans tout comme les autres sens. Ça donne un côté plus réel à l’histoire.
Merci Grégory, oui c’est vraiment un sens intéressant à intégrer dans ses scènes.