Écriture

La nourriture dans les romans

14/08/2023

L’un des secrets pour écrire un roman vivant, c’est de faire appel aux 5 sens des personnages. Ainsi, l’histoire n’est pas simplement survolée mais vécue en profondeur. Elle s’exprime en 3D et est plus immersive.

C’est cette idée qui m’a donné envie d’écrire une série d’articles sur les 5 sens dans les romans ! Et notamment sur la manière dont on peut exploiter chacun de ces sens dans son histoire.

On commence aujourd’hui avec … le thème du goût. J’aimerais me pencher plus précisément sur l’alimentation et son rôle dans le récit.

Alors, comment la nourriture est-elle représentée dans la littérature, et comment peut-on l’exploiter pour servir ses objectifs narratifs ? On va parler de sujets aussi variés que les Chocogrenouilles d’Harry Potter, le cygne rôti de Cersei Lannister ou encore la petite madeleine de Proust 😅

P.S. En bonus je vous propose un petit lexique du goût à la fin de cet article …

Quand l’alimentation sert à étoffer un univers

En tant qu’élément incontournable de la vie quotidienne, l’alimentation peut être utilisée pour mieux caractériser l’univers d’un roman.

On remarque d’ailleurs l’importance de la nourriture dans des mondes imaginaires très foisonnants, comme Harry Potter ou Magic Charly.

Ainsi, dans la saga de J.K. Rowling, les tartes à la citrouille apparaissent comme par magie sur le buffet, tandis que les Chocogrenouilles sautent hors de leur emballage pour se balader dans le Poudlard Express.

Dans Magic Charly, Audrey Alwett va encore plus loin, puisque les madeleines de réconfort agissent sur les émotions de ceux qui les mangent …

Dans ces deux cas, la nourriture vient renforcer le côté merveilleux et pétillant d’un univers, elle participe à définir sa tonalité.

Dans un autre genre, citons les plats décrits dans les Mémoires de la forêt. Tartes aux fraises et œufs cocotte n’ont rien de magique, mais ils nous sont présentés comme des mets réconfortants et cosy, qui contribuent à créer l’univers enveloppant du livre. Et comme preuve du succès de cette facette du roman, Mickaël Brun-Arnaud a publié le carnet de recettes de son histoire dans son tome 2 !

⚙️ Si, dans ces exemples, la nourriture est utilisée pour susciter un sentiment positif, le contraire est tout aussi exploitable. Une soupe claire à base d’épluchures de légumes, un plat unique resservi tous les jours, ou une surabondance de nourriture écœurante pourront provoquer l’effet inverse … Réfléchissez-y si vous mettez en scène un univers sombre dans votre roman. On peut aussi jouer sur le contraste comme dans Hunger Games, ou les gens meurent de faim dans les districts, tandis qu’ils se goinfrent au Capitole …

Quand le goût caractérise les personnages

Autre rôle de la nourriture dans les romans : elle humanise les personnages en leur attribuant des goûts et des petites manies alimentaires. Votre héros est accro à la réglisse ou a l’habitude de noyer ses chagrins dans un mug de Chai latte ? Tant mieux, cela le rend à la fois plus crédible et plus attachant !

Si l’on se penche un peu plus sur le sujet, on se rend aussi compte de la valeur symbolique de l’alimentation. Comme tout autre élément de l’univers, celle-ci peut se poser en miroir des personnages.

Sur ce thème, j’ai envie de citer Le Trône de Fer, où Cersei fait servir du cygne rôti à un repas. Ce détail du menu renforce le côté cruel et inquiétant de la reine … Quel choix de plat pourrait mieux symboliser une marâtre qu’un animal réputé pour être aussi pur et gracieux qu’un cygne ?

Ici, la nourriture vient compléter la caractérisation de la “méchante reine”. Mais elle symbolise aussi l’ambiance particulière d’une scène, puisque la jeune et douce Sansa, otage de Cersei, participe au repas (le cygne sacrifié serait-il une métaphore du sort que lui réserve la reine, si elle ne se tient pas à carreau ?)

👉 Qu’il s’agisse d’une préférence alimentaire ou d’un élément symbolique, la nourriture que vous mettez en scène dans votre roman peut donc vous permettre d’approfondir vos personnages.

Quand la nourriture fait avancer l’intrigue

La nourriture est indispensable à la survie, elle fait partie du quotidien et joue un rôle clé dans les échanges entre les gens. Cela en fait un sujet d’importance qui peut orienter le récit.

Ainsi, la nourriture permet à Gollum d’instiller la graine de la discorde entre Frodon et Sam, dans Le seigneur des anneaux. En saupoudrant quelques miettes de lembas sur les vêtements de Sam, puis en faisant disparaître le précieux pain de voyage, Gollum sème le doute dans l’esprit des hobbits affamés …

Ici, c’est la nourriture qui permet à une créature malveillante de monter deux amis l’un contre l’autre. Et de fragiliser dangereusement leur quête, dont dépend l’avenir du monde.

Mais si l’alimentation sépare, elle peut aussi rassembler. C’est d’ailleurs souvent le cas en littérature. Offrir à manger à l’autre peut être un acte fort qui le sauve de la faim. Ou même une manière de prendre soin de lui, de le réconforter, de l’amadouer. Et ainsi de créer du lien.

📕 Dans son roman Ensemble c’est tout, Anna Gavalda utilise ce moyen pour rapprocher ses personnages. Alors que Camille se laisse mourir de faim dans une chambre de bonne, son voisin Philibert la prend en pitié et lui amène un panier repas. C’est comme ça que leur lien se crée et que l’histoire démarre vraiment, puisque les relations humaines sont à la base de ce roman.

🥟 La petite Madeleine de Proust

Terminons avec le pouvoir évocateur du goût, et sa capacité à faire remonter des émotions et des souvenirs. Ce sens peut ainsi être le vecteur d’un rappel du passé, comme l’explore si bien Proust dans À la recherche du temps perdu.

Au début de l’histoire, le narrateur trempe une madeleine dans son thé. En la goûtant, il est assailli par une sensation inédite … Il finit par se rendre compte que le goût du gâteau associé à celui du breuvage lui rappelle un souvenir de son enfance, d’une manière étonnamment vivace. Ici, le goût fait ressurgir tout un pan de sa vie qui était complètement enfoui dans sa mémoire.

À l’instant même où la gorgée mêlée des miettes du gâteau toucha mon palais, je tressaillis, attentif à ce qui se passait d’extraordinaire en moi.

Marcel Proust


Nos sens sont puissants, ils peuvent toucher des parties de notre cerveau qui sont hors de portée de la réflexion … comme s’ils avaient la capacité de déverrouiller une porte inaccessible aux pensées.

C’est d’ailleurs ainsi qu’est née l’expression « une petite madeleine de Proust » pour désigner une réminiscence provoquée par un déclencheur.

Si vous ne connaissez pas ce passage, n’hésitez pas à aller le lire ici

📜 Le lexique du goût

Terminons cet article avec une liste d’adjectifs pour vous aider à utiliser des termes précis quand vous écrivez sur le thème du goût dans vos romans.

Acidulé –> légèrement et agréablement acide
Âcre –> très irritant au goût
Aigre –> d’une acidité désagréable
Aigre-doux –> à la fois acide et sucré
Amer –> d’une saveur rude
Âpre –> d’une rudesse désagréable
Astringent –> de goût âpre
Délicat –> d’une finesse plaisante
Délicieux –> extrêmement agréable
Douceâtre –> d’une douceur fade voire écœurante
Doux –> au goût faible mais agréable
Ecœurant –> qui dégoûte
Epicé –> relevé par des épices
Excellent –> exceptionnellement bon
Exquis –> d’une délicatesse raffinée
Fade –> qui manque de saveur
Fort –> au goût intense
Insipide –> qui n’a aucun goût
Pimenté –> assaisonné de piment
Piquant –> à la sensation vive et saisissante
Poivré –> assaisonné de poivre
Rance –> qui a pris une saveur âcre
Relevé –> au goût piquant, salé, épicé, poivré ou pimenté
Salé –> assaisonné de sel
Saumâtre –> au goût amer et salé
Savoureux –> à la saveur agréable
Succulent –> à la saveur délicieuse
Sucré –> au goût de sucre

À lire aussi : Créer une ambiance immersive dans votre roman

Le blog prend de petites vacances, je vous retrouve en septembre !

Liens de partage

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  • Marie-Hélène le 14/08/2023 à 9 h 38 min

    Merci beaucoup, Charlotte, pour tous ces rappels très pertinents.
    Votre aide est précieuse, et j’apprécie ces conseils qui, d’une part, me redonnent du cœur à l’ouvrage, d’autre part, m’ouvrent des horizons que je n’exploite sans doute pas suffisamment.
    Je vous souhaite une très bonne journée…
    Marie-Hélène

    • Charlotte le 25/08/2023 à 10 h 55 min

      Merci Marie-Hélène ! Oui c’est toujours intéressant d’explorer de nouveaux horizons.

  • Daniel le 14/08/2023 à 10 h 25 min

    Bonnes vacances
    amitiés
    Daniel

    • Charlotte le 25/08/2023 à 10 h 55 min

      Merci beaucoup 😊

  • CAILLAUD le 14/08/2023 à 11 h 21 min

    Merci, pour ton travail, encore des rappels utiles, des idées
    j’attends la suite de la série prévue avec intérêt

    • Charlotte le 25/08/2023 à 10 h 56 min

      Merci, ça me motive à écrire la suite de la série d’articles !

  • Strinati henri le 14/08/2023 à 13 h 24 min

    merci pour cet environnement olfactif et goûtu. J’aime vos initiatives et les domaines que vous explorez.
    Bonne vacances

    • Charlotte le 25/08/2023 à 10 h 56 min

      Merci beaucoup 🙂

  • Carole B. le 14/08/2023 à 21 h 05 min

    Merci Charlotte pour tous ces conseils. Cela m’aide à avancer. Effectivement la nourriture et la force symbolique qui s’en dégage aide à mieux définir les personnages, leur caractère… merci et bonnes vacances à vous.

    • Charlotte le 25/08/2023 à 10 h 56 min

      Merci Carole !

  • sémoi le 15/08/2023 à 9 h 25 min

    Bonjour, oui c est vrai, concept tres largement utilisé dans le roman Walking dead 🙂

    • Charlotte le 25/08/2023 à 10 h 57 min

      Ah je savais qu’il y avait des BD mais je ne connaissais pas le roman ! Il est intéressant à lire ?

  • Enirtourenef le 20/08/2023 à 14 h 25 min

    J’avoue, je ne m’étais jamais posé la question de la nourriture. Je l’utilise, les personnages mangent (les pauvres, ils mourraient, sinon xP) mais j’avoue que je n’ai jamais vraiment cherché à théoriser cet aspect. Au final, j’utilise assez peu la nourriture pour montrer quelque chose. Les temps des repas sont plus une approche pour l’atmosphère d’une scène, chez moi, même si là ce matin en écrivant, justement, la nourriture a servi à montrer quelque chose sur ma protantagoniste (oui, j’invente des mots, et alors ? :P)

    • Charlotte le 25/08/2023 à 11 h 00 min

      Moi non plus, je n’ai pas énormément exploité ce thème dans mes romans (à part dans Le royaume sans ciel, où la Reine Rouge est complètement obsédée par la pâtisserie !) mais le fait de travailler sur cet article m’a donné envie de m’y mettre. Sinon j’aime beaucoup ton idée du protantagoniste 😉

  • Oriane le 23/08/2023 à 11 h 32 min

    Très bon article! Merci j’adore!
    Dans 1 de mes histoires c’est une soupe offerte par une mamie à son voisin adolescent esseulé qui permet de créer leur lien ♡

    • Charlotte le 25/08/2023 à 11 h 01 min

      Merci beaucoup Oriane ! Oh ça a l’air touchant 🙂

  • Lilas b le 31/08/2023 à 10 h 50 min

    Et coucou ! je reviens enfin sur ton site après des mois, j’ai repris l’écriture que j’avais arrêté à cause de quelques soucis de santé et maintenant que je relis tes articles, je prends des centaines de notes dans mon carnet ! J’adore toujours autant tes conseils et ils m’aident beaucoup dans mon écriture. Ton roman aussi, que j’ai annoté, m’a beaucoup inspiré. J’y ai retrouvé tous tes conseils et j’essaie de les appliquer au maximum. Merci beaucoup Charlotte, tu m’aides énormément et si je réussis à finir mon roman et le faire éditer, tu seras dans les remerciements 🙂

    • Charlotte le 01/09/2023 à 14 h 29 min

      Bonjour Lilas !
      Oh c’est gentil merci 🙂
      Bon rétablissement et bonne écriture à toi, alors.
      P.S : il me semble que tu m’as envoyé un mail via mon blog, mais je n’arrive pas à le retrouver (parfois les mails en provenance de mon blog disparaissent de ma boite de réception …) n’hésite pas à me le renvoyer.

  • Geoffray le 03/09/2023 à 9 h 43 min

    Je suis en train de lire Red Stone et c’est tellement génial et bien écrit…ça faisait longtemps ! Merci <3
    Allez j'y retourne

    • Charlotte le 03/09/2023 à 13 h 10 min

      Merci contente qu’il te plaise 🙂